Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Chapitre 9 : Révélation comme un affront

Le traître se résignera alors à émettre, à contrecœur, ce qui ressemblera à une supposition pleine de rancœur et de rancune, mais qui n’en sera pas une :

- Peut-être Gaïa fût-elle mue par un besoin quelconque, fût-il futile, en tout cas plus fort qu’elle : cons que vous êtes, cela vous échappe-t-il ? Car enfin, puisque l’insistance n’est pas suffisante, je me dois d’utiliser la véhémence : l’omnipotente Gaïa a souhaité la venue d’Homme comme elle a souhaité et amené notre présence, apparemment insuffisante. Y a pas débat : pourquoi attribuer à un aléa ce qui fut manifestement quelque chose de délibérément décidé et voulu ?

- Et pour quelle raison Gaïa aurait-elle souhaité son arrivée ?

Intrigué, Lion aura grogné ça avec mauvaise humeur, l’air inquisiteur. Ravi de son petit effet, de l’intérêt soudain provoqué, la mine rayonnante de Chien se fera insinuante :

- Allons, allons, Lion…. Tu n’ignores rien des menus détails qui distinguent l’animal de l’humain : la différence est de taille, elle n’a rien de ténue. Vous avez été, comme moi, surpris de découvrir ce langage commun qui nous permet de débattre ici et aujourd’hui. Homme fonde une partie de sa supériorité sur sa capacité à communiquer à l’infini. A l’évidence, si la nature l’a pourvu de capacités globalement largement supérieures aux nôtres, c’est que Gaïa tenait à créer un être autre, une entité apportant un « plus » sensible et plus susceptible de répondre à des besoins particuliers…

Ne sachant pas trop où il voulait en venir, c’est sans se languir que l’assemblée se laissera porter par cette harangue, la buvant littéralement, n’ayant rien d’autre à se mettre sous la langue. Et c’est sans grande peine que Chien la tiendra en haleine. Malgré les moqueries des autres, il était connu et reconnu comme féru d’anthropologie : cabot de terrain et dogue de sciences, sa logique pragmatique ne laissera personne dans l’indifférence.

- Ne prenez pas ça pour une hypothèse, mais dans sa genèse, Gaïa a engendré Homme pour son propre « plaiz’ », pour qu’il la distraie de ses attraits, l’amuse de ses foutaises et l’apaise dans ses malaises. Au sixième temps de la création, après avoir créé à son aune océans, continents, flore, faune, j’en passe et des meilleures encore, Gaïa s’ennuyait déjà : désœuvrée, elle eut l’idée de rajouter à son œuvre, par le truchement de l’évolution, un être assez différent des autres vivants, une innovation. Malgré votre mauvaise foi et votre connaissance restreinte de l’humain, vous ne pouvez ignorer à quel point la civilisation humaine est passionnante, enivrante et même rarement soûlante pour Gaïa, qui en est restée baba et qui, depuis, ne s’est jamais plus ennuyée. Vous nous traitez de traîtres et vous vous moquez de nous, mais vous passez à côté du show dément qu’est le côtoiement de notre nounou. Vous nous pensez asservis en nous voyant le servir, mais c’est pour nous le prix à payer pour nos loisirs. Et puis, vous ignorez ceci : peu après son apparition, malmené par de rudes conditions de vie et par des ennemis pas vraiment prudes, Homme exigea de Gaïa qu’elle mette des animaux dociles à sa disposition afin de faciliter son intégration. Nous fûmes donc sacrifiés pour assurer son confort et priés de faire des efforts. Telles furent les consignes de Gaïa : que faire dans ce cas-là ? En contrepartie, elle nous dota d’un sens du spectacle, qui nous fait goûter, aujourd’hui encore et quotidiennement, à un délicieux repas de bon temps et d’amusement, mais que vous ne pouvez malheureusement apprécier parce que non-initiés… C’est un mal pour un bien : nous rions sous cape et lui s’en tape bien, il ne capte rien. Ainsi notre honneur est-il sauf, car si ce beauf semble nous mener par le bout de la queue, c’est lui le bouffon et nous qui rigolons. Notre respect pour cet état des choses, c’est la base de cette symbiose. Tant qu’il a l’impression que c’est lui le savant, nous sommes gagnants. Pour moi, c’est un exploit extraordinaire que de lui avoir laissé penser ça durant des millénaires… Vous voilà maintenant au courant d’un des plus grands secrets de tous les temps. Homme lui-même a comme oublié cette faveur qui lui a été faite et qui lui a facilité la fête. Nous seuls, domestiqués, étions au parfum : et oui, un traître est plus malin qu’il peut le paraître ! J’espère que cela fera taire les mauvaises et trop longues langues, par trop exsangues, au point qu’elles fourchent et qu’elles tanguent.

Il est des révélations qui vont au-delà de toute négation. A ce moment précis, personne de doutera de la véracité de tels propos et personne ne cherchera à nier aussitôt ce qui, instantanément, était devenu évident. Du stade de captivée, la foule des animaux passera alors à celui de captive de son nez, de ses naseaux, le souffle coupé par l’annonce de Chien, pas si nabot, mine de rien. Elle aura jusque-là suivi l’affrontement avec l’intérêt qui est dû à ce genre d’événement. Prenant seulement parti dans les temps impartis, elle aura, dans son ensemble, adoptée une attitude plutôt moribonde, en dépit du fait que ce procès concernât tout le monde. Elle aura longtemps préféré laisser à ces deux foudres de guerre le soin de se battre et de débattre de l’avenir de Terre, pour se glisser dans le rôle agréablement neutre de spectateur. Chacun soutenant son poulain, canidé ou félin, personne ne voulant vraiment se mouiller les mains. Mais cette révélation aura sérieusement secoué l’ensemble des sauvages, de sorte que les quelques endormis auront été vivement tirés de leur dodo par les sursauts de surprise des autres convives. Méduse en restera médusée, Babouin en sera carrément sur le cul, qu’il avait nu, et Guépard n’en reviendra pas, même s’il continuera à se montrer gai par courtoisie. Cela sera une réelle stupéfaction que de découvrir le pourquoi de la domesticité des traîtres, mais plus encore, cela sera l’élément déclencheur d’une véritable prise de conscience de la mise à mal de la condition animale. Cela donnait enfin un sens à leur comportement soumis qui aura toujours été de l’ordre de l’incompris pour les non-initiés au fascinant spectacle de l’humanité. Mais la résolution de cette équation n’aura que peu de poids par rapport à ce que sous-entendra la révélation. Dans toutes les têtes, celle-ci sera perçue comme un affront simultané à toutes les espèces laissées pour compte : ainsi Homme était-il arrivé là pour combler un manque affectif de Gaïa. Blessée par tant d’injustice, l’assistance aura tout à coup l’âme transie d’une amoureuse trahie. Car jusque-là, Gaïa aura eu le mérite de conserver l’aveugle confiance de ses créatures, animales bien sûr, et ce, quelles que soient leurs croyances. Et patatras ! Voilà que soudain tout ce bloc de sûreté se trouvera fissuré. L’idée abjecte d’avoir été considérés comme des animaux-objets les aura traversés…

Estomaqués, ils auront vraiment de quoi l’être, mais sans que cela ait aucun lien avec la faim. Et, soit dit en passant, c’est vrai que celle-ci aurait dû commencer à tenailler les estomacs et occuper les esprits depuis longtemps ! Mais tous auront été saisis par ce même esprit qui leur avait apporté l’intercommunication et qui leur donnera aussi l’impression d’une satiété constante, mettant ainsi sur pause cet instinct qui en d’autres circonstances aurait fait se jeter Rorqual sur Lion de Mer, Fourmilier sur Termite et peut-être même Aigle Royal sur Mite. Sans cela donc, on eut assurément assisté à la plus grande boucherie de tous les temps et ce bout de cirque n’aurait servi à rien, tout ce procès aurait été vain.
Comme les autres, Lion ne sera confronté à aucun problème d’alimentation, mais ce que Chien aura révélé au grand jour aura été un formidable coup de poing à l’estomac et il se trouvera à genoux, l’esprit et le corps vidés, comme pieds et poings liés. Elle sera bien loin maintenant la béatitude d’antan : ébranlé dans ses certitudes par cette révélation et plongé dans une attitude de doute, il se verra placé dans l’inconfortable position de celui qui maîtrise mal son sujet ou qui n’est pas au fait de toute l’actualité. Réalisant la véracité probable d’une affirmation si ciselée, il mettra quelques instants à se relever, pour finalement reprendre la parole, la voix hachée :

- Ainsi, Homme était un caprice de l’artiste suprême et votre servitude un cadeau pour ce fils narquois, une sorte de « je t’aime », quoi… Ma foi, pourquoi pas ! C’est vrai que ça ne sonne pas faux, que c’est plutôt à-propos. Il est plus doué que nous pour beaucoup… Il s’est construit une civilisation d’une complexité que n’égale que sa diversité… En fin de compte, ce chouchou est pour Gaïa un joujou bien mieux que nous…

Il y aura encore un temps de pause, car il faudra qu’ils se reposent. Le temps ralentira son cours dans cette cour tellement cool et déjà nettement saoulée. Ni l’alcool ni la colle ne seront responsables de l’ivresse de ces espèces mais plutôt les médicaments. C’est qu’il leur faudra digérer la pilule que leurs orifices auditifs auront ingérée en apéritif. Et dire que le digestif restait encore à venir…

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