C’est sous d’australes latitudes, par une soirée plus chaude que d’habitude, que se déroulera la plus incroyable scène que le monde ait jamais connu, et pas non plus la moins ridicule, et ça lors d’un été qui aura une fois encore battu des records de canicule.
Un haut plateau entouré de falaises à pic comme des remparts et au beau milieu duquel coulera une large rivière semblant sortie de nulle part, sera le lieu où se jouera l’avenir de Terre et celui de tous ses locataires. Il ressemblera fort au point culminant du Tibesti, l’inouï sommet de l’Emi Koussi, cet effrayant cratère africain de dix mille hectares de superficie qui pointe son nez à trois mille quatre cent quinze mètres en l’air, forme une vaste cuvette de terre telle une ellipse et éclipse tous les volcans environnants. Comique coïncidence à la symbolique non sans incidence sur l’ambiance : un climat volcanique accablera justement les lieux de sa chape de feu. A l’heure de cet événement si grave, un soleil suave, se couchant en rougeoyant, inondera l’endroit d’une impalpable lave. Un rocher plat surplombant ce parterre fera office d’estrade dans ce semblant de stade et donnera à l’aire rougeâtre l’air d’un gigantesque amphithéâtre.
Avec la puissance et la pureté des rayons solaires, les murs de grès clair auront emmagasiné de la luminosité et dans l’obscurité naissante, ils joueront les écrans géants, leur lisse pente éclairant le néant tel un néon. Alors même que le jour perdra de sa brillante allure, la température ambiante restera brûlante. Comme un écho au ballet du sirocco, le vent passera le balai dans ce palais, depuis le sol jusqu’aux plus hauts rocs, faisant plier les herbes et frémir les rares arbres de cette déserte nature, auxquels feront défaut leur verte ramure. Ce courant d’air apportera un brin d’aise dans cette fournaise.
L’aridité du terrain ira curieusement jusqu’aux rives de ce fleuve peu affable, car ses eaux ne voudront plus pénétrer cette surface devenue imperméable. Pied de nez à l’éternel combat entre l’eau et la roche, ce jumeau d’Okavango glissera impassiblement sur ce toboggan sorti de sa poche. Depuis longtemps il aura remporté une victoire bien illusoire et cessé de donner à cette terre burinée les gouttes de vie dont auront bien besoin toutes les espèces végétales autour de lui. En ces temps avancés, l’eau sera devenue un met aussi rare qu’elle est précieuse et âgée, de sorte que fleuves, rivières et ruisseaux dédaigneront à la partager. « Chacun sa foi, chacun sa loi, mais surtout chacun pour soi ! » est la règle d’or quand on possède un pareil trésor. Aussi invraisemblable que cela pourra sembler en ces temps de sécheresse durable, sa source semblera intarissable. Continuellement indifférent, ce gros cours d’eau suivra son cours jusqu’à la mer, alors à quelques encablures de là, puisque dans cet amer futur-là, les continents se seront réduits sous la pression d’océans incontinents. En effet, les banquises des pôles ne seront plus dignes de porter leur nom : à vue d’œil, la glace aura fondue sous un soleil de plomb comme dans un verre d’eau chaude un glaçon. Les marées basses auront disparu et aux marées hautes succèderont inexorablement des marées encore plus hautes.
Et l’histoire controversée de ce lieu donnera à cette histoire mythique son caractère mystique. A l’instar du Cedar Berg, il avait autrefois été une forêt florissante et, comme c’est bizarre, une même main, inconsciente de son chemin, avait ruiné cette riche vallée au point de faire de cette merveille éphémère un paysage ruiniforme et lunaire. Le piton rocheux y sera la règle et la végétation l’exception. De la si vivante lande d’antan ne restera plus qu’un navrant no man’s land. Ainsi qu’un souvenir hantant les mémoires et inspirant les histoires.
Mais s’il avait été par le passé, à son summum, un somptueux arboretum, il n’en restera pas moins un magnifique point de vue offert au regard, même quand, dégarni par la violation, son aspect aura subi une radicale transformation. Ce contraste insaisissable et la rencontre des quatre éléments terre, eau, feu et air en ce lieu quasi-clos donnera à notre tableau une beauté venue d’ailleurs. D’ailleurs c’est un signe que quelle que soit son allure, la beauté de la nature se retrouve partout et toujours, d’un extrême à l’autre, dans mon œil ou dans le vôtre.
A mi-chemin entre éden pour la vue et enfer pour la vie, le lieu de notre affaire sera un juste reflet de la situation régnant sur Terre. Car c’est à un cataclysme hors de maîtrise qu’elle sera confrontée, comme tous les êtres vivants y habitant. Non pas ce genre de cataclysme soudain et bref, du style séisme, mais une catastrophe au contraire lente et cruelle, et qui n’aura rien de naturelle. Le mal le plus symptomatique qui, en toute logique, aurait dû être cause de panique, sera un changement du système climatique. On sait du climat qu’il est cyclique, voire, des fois, colérique. Mais cette fois, la colère se sera faite trop régulière pour qu’il n’y ait pas quelque chose de pervers là-derrière…
La brutalité et les causes de ce bouleversement ne laisseront rien augurer de bon à Gaïa, l’esprit créateur, et à Terre, son chef d’œuvre planétaire. Les précédents chocs de grande ampleur auront été dus à des éléments extérieurs, comme la météorite qui jadis avait mis Terre KO en la percutant avec trop de vigueur et entraîné un chaos synonyme de mort, cet uppercut précipitant la disparition des dinosaures. Cette fois-ci, le souci sera sans commun rapport, fruit pourri de l’intérieur par un ver de Terre de malheur. C’est dans son propre intestin, en son sein même, qu’agira la main attisant la hantise du jour sans lendemain.
Oh ! Ce glissement chaleureux n’aura pas été du genre tapageur. Tel un reptile, il aura avancé masqué mais d’un pas assuré, il aura rassuré pour mieux tromper. Ainsi, la température aura perdu en stabilité du fait de l’activité terrestre et augmenté de quelques degrés par siècle. Cela aura semblé somme toute tout à fait négligeable aux habitants d’alors, voire même agréable pour certains cadors. Sous-estimant le danger, ils n’auront pas réagi à temps et pris les mesures s’imposant. Voilà l’os : cette hausse est comparable à celle qui, quelques quinze mille ans auparavant, avait fait passer Terre du dernier âge glaciaire au climat tempéré qui lui a succédé… « Petits faits, grands effets » dit la maxime : ces changements de températures d’envergure apparemment minime auront tout de même été d’une violence extrême pour Terre comme pour Gaïa, l’esprit créateur, et cela malgré leur résistance téméraire. Main dans la main, toutes deux souffriront en même temps des mêmes maux et ce réchauffement aura déjà fait chez les humains comme chez les animaux des millions de morts au bas mot ! Dérèglement irréversible dû à trop d’errements ou à un manque de règlement, le fait est que la planète n’aura plus la même santé ni le même rendement.
Pour rendre compte chronologiquement du contexte, c’est petit à petit qu’une trop forte concentration de gaz à effet de serre aura provoqué une augmentation de la température moyenne sur Terre, une dilatation des eaux de surface des mers, ainsi qu’une lente fonte de la glace dans les zones polaires. Estropiées, les forêts n’auront pu recycler toutes ces horreurs en vapeur et se trouveront asphyxiées. Dans le même temps, la fonte des glaciers réduira leur pouvoir rafraîchissant, et ils pourront à peine contenir l’inexorable hausse de la température moyenne. Insidieusement, l’eau des océans se sera refroidie en même temps que son niveau se sera élevé. Premier effet « Sea’s cool » : le mécanisme des courants maritimes, régulant le climat comme le Gulf Stream, aura tourné maboul. Deuxième méfait, l’eau se sera précipitée avec sa clique liquide à l’intérieur des terres, sous les yeux livides des habitants des régions côtières. Ces changements rampants auront surpris tout leur monde quand les mauvaises ondes et leurs effets particulièrement violents auront été appréciés à leur juste valeur par les locataires de Terre : raz de marée, tsunamis, ouragans, blizzards et autres sécheresses d’une gravité sans précédents auront été autant de fléaux frappant sans distinction la créature pécheresse et les innocents... Chaque être vivant de chaque région aura eu à souffrir de ces bouleversements et catastrophes à répétition, apostrophé par tant d’exhibition. Ainsi en va-t-il en général : on n’observe un changement avec les yeux et la bouche grands ouverts que lorsque ses conséquences touchent jusque dans la chair.
Le climat qui, dans le temps, avait été tout raison et tout équilibre ne sera plus que déséquilibre et déraison. Au fil des années, les zones climatiques propres aux écosystèmes, auront été poussées à l’extrême, perdant en cohérence et en diversité sous la violence de l’adversité. Et désormais, ce sera un climat quasi bi-forme qui régnera sur ce monde déformé. Les conditions qu’il offrira oscilleront tantôt vers le brûlant, tantôt vers le glacial, de sorte que Terre aura l’air d’un malade pris d’une fièvre, soufflant le chaud et le froid, mais plus le tiède.
Ce temps terrible sera le mal le plus tangible affectant Terre, mais cela ne sera pas le seul pour autant, et nombre seront indicibles car encore invisibles. Sera-t-il encore possible de faire marche arrière, ou, à défaut, de stopper l’hémorragie de Terre et d’éviter la contagion d’autres régions d’Univers ?