Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Chapitre 3 : Le vrai procès

- S’il suffisait d’un syllogisme pour prouver sa culpabilité et pour clasher l’inculpé, je dirais : « L’accusé est absent. Comme Homme aime à le dire lui-même, les absents ont toujours tort. Donc l’accusé a tort, or, et c’est là que c’est fort, un accusé qui a tort est forcément coupable. » La chute de cette figure de style, c’est qu’il est coupable, car les faits l’accablent en dépit de sa mauvaise foi palpable ! De toute façon dans cette histoire c’est toujours lui qui s’enfuit, qui s’en fout, qui s’en moque, entraîné comme un fou dans son amok. Le réquisitoire sera donc sans équivoque !

Lion fera une pause, car sa voix et ses cordes vocales ne seront pas habituées à un taux d’utilisation si élevé. « Pourvu que mon asthmatique ne s’enroue pas, cela nuirait à la qualité de sa rhétorique » pensera sa moitié, sceptique. « Je n’en reviens pas d’entendre dans ma gueule ce langage si aisé à utiliser. Quel ravissement déconcertant de facilité ! » songera Lion de son côté. Les mots lui viendront en effet à la bouche comme une évidence, comme si, en bon comédien, il avait tout répété à l’avance. Un animal qui parle par rime en abondance, qui danse avec les assonances, rythmant ainsi ses sentences, ça peut paraître un crime à l’encontre du bon sens. Mais cela s’expliquera par le fait que des cordes vocales si inadaptées ne pourront enchaîner une grande diversité de sons, contraignant par là même la diction. Il sera satisfait de son début de discours ainsi que de son souffle, que sa moqueuse de souffleuse disait court.

A ce moment-là se fera entendre le son de voix du poil à gratter et cadet de l’assemblée, Hérisson. Malgré son jeune âge, il sera déjà d’une impertinence sans égale, peut-être en raison de son acéré blindage. Il n’aura pas son pareil pour être pointilleux quand les circonstances l’exigeaient le plus, ce sac à puce !
Ainsi interviendra ce trublion d’Hérisson :

- Minute Papy Lion ! Juste une rectification qui va te laisser coi : au syllogisme, on peut faire dire tout et n’importe quoi ! Homme le démontre d’ailleurs fort bien par cette contradiction : « Ce qui est rare est cher. Un cheval borgne est rare donc un cheval borgne est cher. » On ne peut s’appuyer sur un mode de raisonnement biaisé pour un tel procès, ce serait bien aisé… Un peu de sérieux, tu veux ? Nous autres, animaux, avons une parfaite expérience de l’injustice mais guère de connaissances en matière de justice... Nous avons bien nos règles, nos lois, mais la différence d’une espèce à l’autre est épaisse. Mettons-nous donc à table, mais de manière éthique et équitable. C’est à ma connaissance la première instance de prud’homme qui ne soit pas organisée par Homme. Et pour sa première, ce tribunal animal doit traiter de l’affaire qui fait le plus mal.

Lion, ironique dans le ton, acquiescera, amusé par le dicton :

- T’as raison, Hérisson ! Merci pour ta grandissime intervention, mais mon syllogisme était une image non du premier degré, mais du second. Non ce procès ne sera pas du bluff, non nous ne mettrons pas la charrue avant les bœufs ! Je suis chargé d’y veiller. Grâce à toi, sois-en remercié, nous sommes prévenus et nous montrerons circonspects devant des faits si ardus.

Là-dessus Kangourou, qui n’aura pas non plus la langue dans sa poche, interviendra à son tour en sautillant au dessus de ses proches. L’immense assemblée aurait intimidé plus d’un animal, mais c’était mal connaître le marsupial :

- Je saute sur l’occasion que m’offre Hérisson pour m’insurger contre certains mauvais esprits qui essayent d’infliger à Papillon la responsabilité de cette sécheresse à désespérer. J’ai entendu des théories inouïes, des perles, lesquelles arguent que son battement d’aile est responsable de ces changements climatiques notables. C’est un des pires ragots que j’ai entendu sur le trajet, qui m’a fait bondir et contre lequel je m’inscris en faux ! J’espère qu’on n’a pas fait tout ce chemin pour rien, toute cette route pour entendre des stupidités navrantes et des culpabilités aberrantes. Non mais ! Avec tant de cynisme, bientôt on mettra les séismes sur mon dos et leur épicentre au niveau de mes sauts !

Un brin désespéré, pressé de voir le procès commencer, celui qui le présidait laissera tomber :

- Voyons, voyons… Que peut-on reprocher à Papillon, dont l’allure est si superbe et si pure ? Son corps d’athlète et sa beauté feraient-ils des envieux chez les vieux et les têtes de nœud ? Je ne saurais trop vous conseiller de mettre de coté vos jalousies et vos rancœurs. Cela me tient à cœur ! Clichés, clashes et lutte entre les races n’ont pas leur place dans ce palais. Evitons les invectives, que la discussion soit constructive ! Vous saurez vous montrer dignes de votre rang de jurés, hein, c’est juré ?

Il demandera cela pour la forme et pour la prouesse lyrique, car il saura d’ores et déjà que ce délire de promesse sera difficile à tenir. Et qu’il serait le premier à tomber dans l’excès. Un peu alarmantes, les deux interruptions précédentes ne laisseront rien augurer de bon à Lion. Ou plutôt, cela donnera une bonne idée du ton sur lequel allait se dérouler cette réunion : ça risquait d’être bonbon. Mais ce ne sera que raison tant le nombre et la pression de l’union ont raison. L’idéal pour empêcher toute velléité de pointer son nez résidera selon lui dans le monopole de la parole et cela s’annoncera très compliqué en compagnie de tels freluquets…
Il contemplera cette assistance qui l’écoutait, aux aguets, et ne pourra que s’émerveiller devant la découverte de ce nouvel et basique instinct de sophiste, qui ressemblait à une musique sophistiquée, une sorte de liste à réciter. Il poursuivra :

- Meute de Terre, tu es aujourd’hui l’ambassadrice de tes congénères. Nous sommes tous ici au nom de Terre rassemblés et cela suffit à donner à ce procès son entière légitimité. Je n’irais pas par quatre chemins, car tous mènent à un réquisitoire à sens unique, à cette alerte : si nous laissons aujourd’hui Homme continuer son oeuvre maléfique, nous courons à notre perte. Gaïa crèvera de remords en voyant Terre toute entière transformée en cimetière de la mort, en enfer dépravé et nous perdrons notre moyen de transport interstellaire en même temps que notre brave mère. Après avoir longtemps été classées sans suite, c’est aujourd’hui enfin que les poursuites contre lui aboutissent et ce palais de justice est le lieu propice pour enfin empêcher qu’il sévisse, pour mettre fin à ses vices et sévices.

La clique animale approuvera dans un brouhaha fait de chants ultra-sonores, de cliquetis de mandibules, de beuglements de mules, d’hennissements, de barrissements et autres grognements de tous bords… Cette masse sonore aura des relents sourds de désamour, de haine intense et de vaines espérances de vengeance. Ils partageront son avis ainsi que ses rêves inassouvis.
Il aura fait l’unanimité, et cela n’aura été une tâche ni trop dure, ni trop rude, même plutôt pépère, bref une mince affaire. Au vu de la situation et de la diversité des conceptions propre à la biodiversité, ce sera une belle réussite que ce plébiscite, qui plus est acquis de manière licite.
Il rugira pour couvrir la cacophonie autour de lui :

- Ecoutez-moi ! Le temps nous est compté et nous pouvons déjà compter terminer tard ; pour faire les choses dans les règles de l’art, nous nous taperons les étapes réglementaires sans prendre à la légère ce procès à part. Pour ma part, je vais laisser la place à ma bonne Lionne, qui va vous exposer les faits avec un peu plus de fair-play.

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