Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Chapitre 11 : La violence pour ordonnance

Un inaudible coup de sifflet sonnera la reprise des hostilités. Ayant repris du souffle, quelques forces et reçu une lèche réconfortante de leur paire sparring-partner, les deux protagonistes reprendront place sur le ring. King en happening, brillant acteur et actif puncheur, Lion sera tourné vers son public, à la recherche de son soutien et de son maintien en apesanteur. A l’inverse, Chien, dogue en rogne et cependant en émoi devant l’aura du roi, tentera de se faire tout petit, ce qui lui sera très easy, vu qu’il avait un zizi rikiki. Et il aura de quoi être impressionné par ce Pygmallion, car, nabot à côté de Lion, le cabot aura tout bonnement l’air d’un pygmée.

Comme souvent dans ces cas-là, et spécialement dans un cadre comme celui-là, il est des événements imprévisibles qui pourtant laissent insensible. La reprise de la joute se verra à nouveau ajournée mais cette fois-ci par la totalité de la foule, qui, un temps paresseuse, se sera soudain faite très nerveuse. Ces creux récurrents dans le jeu des deux belligérants auront laissé assez de place à l’impatience et à l’agacement, d’autant que ces silences en leitmotiv auront un assez « light » motif. Cette accumulation de monologues intérieurs monotones n’aura pas laissé leurs homologues spectateurs atones. Une fois encore, ce sera la foire, la frénésie succédant à l’apathie. Altercations, prises à parti et disputes : il aura suffi qu’un seul dise « pute » pour que cela tourne au pugilat.

Qui n’eût pas sursauté à la vue d’un tumulte si bouillant entre adultes, dans un air chargé d’insultes ? Qui n’eût pas été outré de voir l’altercation entre Chien et Lion interrompue par cette belle cohue, par un tel tohu-bohu ? Mais non, ni Chien ni Lion ne piperont. Blasés, ils mettront d’instinct leur fierté de côté et, dans l’instant, ils rangeront leurs gants de boxe et rentreront dans leurs box.

Comportement étonnant de la part de Lion, qui aurait pu couvrir à lui seul ce vacarme détonnant de son incomparable rugissement. Mais les frictions croissantes au sein de cette assemblée constituante laisseront supposer à Rebelle Lion comme à Baby Lionne que le tant attendu allait arriver à temps. Pour elle, ces tensions dans l’assistance étaient la manifestation de renaissantes dissonances, à même de forger une armée de défense et d’avance, elle s’en lèchera les babines à la façon d’une gamine. La femme de Lion avait si longtemps rêvé de passer à l’action… C’était en effet un rêve récurrent, traversant nombre de cerveaux animaux, mais un rêve ô combien inaccessible contre cette maudite cible. Aucun plan d’action de grande envergure n’avait jamais été imaginé contre l’éminente figure. On peut pourtant penser qu’ils auraient pu renverser le dictateur dans un putsch où, tous réunis, ils auraient joué un rôle majeur pour la vie en la débarrassant de son plus grand ennemi. Mais la plupart des protagonistes avaient plus une âme d’artiste que de terroristes et bien peu étaient doués pour cet art qu’est la guerre, ce qui n’est guère une tare. Cette guerrière de Lionne, très encline à l’assaut, s’était naguère montrée fine pour mettre le lasso sur certains congénères et pour en faire des va-t-en-guerre. Et à vrai dire, si son mari, pressentant le carnage, n’avait su chaque fois retenir sa femme anthropophage et lui faire tourner la page, elle serait déjà maintes fois partie en croisade, ralliant çà et là à sa cause d’hardis camarades pour tenter de porter à Homme l’estocade. Oui mais Lionne, pour une rébellion, l’adhésion de Lion est une condition sine qua none !

Une sorte d’aura couvrira cet être au trop long bras, et nul n’aura jamais sérieusement essayé de le destituer. Comme les galériens, condamnés à vie à ramer, voués à une inexorable mort et dont l’absolue majorité subit son sort sans broncher. L’inertie des victimes de cet empereur illégitime aura rendu plus défavorable le rapport de force, à mesure que l’un se développait et que les autres écopaient. Les pertes dans la biodiversité auront forcément contribué à affaiblir fortement l’adversité. Cette immobilité faisait que nombre les avaient déjà quittés et au regard des circonstances et de l’ambiance, beaucoup devront encore péricliter…

En effet, il est des cordes sensibles qu’il n’est pas bon trop gratter. Et visiblement, Chien aura joué une mauvaise arpège, faute d’avoir assez étudié le solfège : le voile levé sur les raisons de la naissance d’Homme aura le son grinçant d’un accord dissonant au sein d’une assemblée en plein désaccord.

Pour les domestiques, tout ça sera de l’ordre de l’anecdotique, puisqu’ils connaissaient le fin mot de l’histoire humaine, c’était quelque chose qu’ils avaient plus ou moins dans les gènes, d’où leur absence de gêne. Ceux-là verront plutôt dans le culot de Chien son éternel sens de la provocation prendre le dessus sur sa raison. Difficile de vraiment maîtriser sa parole quand elle vous est donnée, quand on découvre que l’on peut enfin exprimer tout ce que l’on veut.

Car pour tous les autres, en particulier pour les fervents « gagas de Gaïa », le fracas de la nouvelle ne s’arrêtera pas au simple tracas, ni même au franc embarras. Comme si le ciel leur tombait dessus, la fulgurance foudroyante de l’annonce sèmera une quinconce sans dessous ni dessus. Ils se sentiront doublement trahis : par les traîtres, mais ça, ils le savaient depuis longtemps et à la limite, leur surnom était comme une étiquette sur le front. Par contre, la trahison de Gaïa aura pour eux l’effet d’un coup de bambou sur la tête, et même Panda ne sera pas à la fête… S’ils avaient jusqu’alors vécu, contents, dans le confort que leur offrait leur appartement, leur mécontentement n’en sera que plus grand. Car si Gaïa leur avait donné vie et offert un cadre de vie idéal, sa trahison initiale signifiait qu’elle les avait trompée des milliers d’années durant en les laissant dans le mouroir de faire-valoir. Eux n’avaient donc été que d’anonymes privés de parole, tandis qu’Homme s’était vu offrir le premier rôle. L’ébranlement de leurs systèmes de croyance les plongera dans l’errance. Ce sera comme si leur foi avait été une drogue à l’accoutumance rassurante, et qu’ils entraient maintenant dans une crise de manque instantanée.

L’assemblée sera donc prise de spasmes et de tremblements et ce sera amusant de voir Phasme, agité comme une feuille par le vent de l’énervement. Le phénomène de foule est bien connu, et il en va pareil chez les humains et chez les animaux : les réactions qui suivront seront irrationnelles, passionnelles et pas vraiment belles. Comme les sportifs pour éviter la défaite, comme certains pendant la fête, ils sembleront comme sous amphèt’. Koala sera parmi les rares que les convulsions épargneront. Le voisin de Kangourou aura prévu le coup et la came pour garder tout son calme. Il aura dans sa musette de l’eucalyptus en abondance, sa douce drogue, à consommer de préférence en quatre-feuilles ou en grog.

De la crise de manque à la violence, il n’y a qu’un pas, que s’apprêteront donc à franchir ces émissaires dont la préoccupation première sera pour les uns de trouver des bouc-émissaires, pour ces derniers de se sortir d’affaire. La colère des habitants de Terre risquera d’être sévère.
Et comme souvent dans ces cas-là, elle ne se portera pas sur son objet réel, Gaïa, mais sur l’apporteur de mauvaise nouvelle. Les traîtres ne se trouveront guère à l’aise et les regards hostiles qui fuseront ne seront pas du genre qui apaise, diffusant chez eux un certain malaise. Les traîtres se sentiront bientôt comme sur un radeau à l’abandon, les visages environnants ne laissant rien envisager de bon. Chien le premier se sentira visé par ces regards acérés et furtifs, explosifs comme des pétards. Il considèrera l’attitude peu amène de Lapin De Garenne avec une certaine inquiétude : celui-ci le toisait de biais, dans une posture plus qu’équivoque, carrément provoc’ ! Pas du genre lèche-bottes, il mangeait ses propres crottes, riches en vitamines et en bactéries, une sorte de gandhi. Ce sera sa façon à lui de faire sentir à Chien à quel point il l’emmerdait, à quel point il le faisait chier. Cette manière roturière était chez De Garenne une manie osée, permettant aussi la survie en ces temps de jeun forcé. Malin, ce Lapin !

Le sol tremblera sous le martèlement des pieds, l’air vibrera sous le vrombissement des ailes et l’eau sera comme dans une baignoire, rendue tumultueuse par le battement des nageoires. Chez les sauvages, même les plus sages sembleront prêts à tous les carnages, car la rage en eux bouillira sans détours, comme leur sang, qui ne fera qu’un tour. Leur seule intention à cet instant ne sera que de faire taire ces traîtres : fermer la gueule de Chien, mais aussi clouer le bec de Poule et garder Vache silencieuse, car vachement ennuyeuse.
Ceux-ci ne seront pas en reste, car leur bestialité se trouvera renforcée au sortir de la sieste. Bien remontés contre les sauvages, qui n’auront pas l’apanage de la rage, bien démontés aussi par cette assommant assemblage de personnages qui ressemblera à un tournage, les traîtres s’apprêteront à faire sans ambages l’étalage des rouages du saccage. La violence domestique est ce que l’on sait après le mariage avec un alcoolique ou lorsqu’on a la rage : elle fait des ravages. Car malgré leur infériorité terrienne, aérienne et navale, les traîtres seront résolus à vendre chèrement leur peau et il y aura parmi eux de jolis morceaux, comme Cheval, qui ne sera pas en rade avec ses ruades. Paradoxalement, s’il est une chose qu’on ne pourra reprocher à ces renégats, ce sera leur fidélité et leur dévouement à tout va. Voilà qu’ils seront prêts à s’immoler sur l’autel du procès, à se sacrifier pour l’hominidé.

Les rancœurs et les inhibitions sembleront avoir eu raison des bonnes intentions. Quel dommage que cette assemblée de mages en puissance finisse comme ça, passant à côté d’un vibrant hommage. L’intervention d’un diable virtuel aura-t-elle rendu ce procès inextricable et ce duel irrémédiable ?

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