Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

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Chapitre 15 : Départ de Terre

L’arche décollera alors avec la démarche hésitante et drôle de Poule qui picore ou d’Homme qui picole. Elle s’envolera maladroitement en essayant apparemment de suivre en ligne droite la direction du firmament. Comme l’oiseau se suffit à lui-même pour voler, l’arche se suffira à elle même pour s’envoler et se détacher des lois de la gravité. Elle n’aura point besoin de moyens humains : son mode de propulsion sera sain, car saint. L’acquisition de Gaïa ne craindra pas la panne, mais celle qui aura fait l’objet d’une réquisition aurait aussi mérité une perquisition des douanes. Aura-t-on jamais vu un transporteur de bétail de si grande taille ?

Au hublot, contemplant le monde de là-haut, les animaux réaliseront leur culot. Quelle tristesse que de voir s’éloigner à jamais les lieux et l’ivresse de tant de contes de fées.

A Gaïa aussi il en coûtera d’abandonner Terre pour des raisons si terre-à-terre qu’elles lui paraîtront vulgaires. Elle s’en sentira assez peu fière, en ressentira même de la colère. A son sens, son impuissance frôlait les limites de la décence. N’avait-elle pas tort d’abandonner ainsi les autres à leur triste sort ? Elle en ressentira des remords : plus encore que les animaux qu’elle retrouverait en nombre bientôt, c’est plutôt de laisser Homme seul face à sa mort, quels que soient ses efforts, qui lui causait du tort… Car qui pourra-t-il dès lors invoquer, vers qui pourra-t-il désormais se tourner, quand même son dieu l’avait lâchement abandonné ? Bien sûr, l’esprit créateur avait droit de vie ou de mort sur sa créature. Mais en l’occurrence, Homme se sera presque auto-atomisé, ce qui minimisait son influence et sa responsabilité. Et elle trouvera un moindre réconfort en se promettant, avec tout ce que l’apitoiement entraîne, de faire nettement mieux la fois prochaine, de mieux gérer la planète suivante, celle des survivants et des survivantes.

Comme si ce genre de questions ne les interpellait qu’après qu’ils aient embarqué, Gaïa et les passagers ne penseront donc qu’une fois dans les airs à ceux restés sur Terre. L’inconscient général aura-t-il sciemment voilé à Gaïa et à l’animal leur capacité de discernement ? S’ils avaient pensé plus tôt au sort de ceux qui n’étaient pas de la réunion, la décision de ces millions d’apôtres aurait peut-être été toute autre. Une vague primaire faite d’égoïsme et d’instinct de survie les aura saisi pendant le procès et une seconde vague de compassion et de culpabilité les prendra seulement une fois sauvés, comme s’ils avaient l’intention de se réhabiliter. Mais ils n’auront point besoin de se justifier, ils auront bien fait de se fier à leur instinct. Ils auront fait le bon choix au final, un point c’est tout et point final ! Objectivement, il n’y avait plus rien à faire pour sauver Terre et on n’aurait pu sauver ni le monde ni tout le monde. En sauvegardant un couple de chaque espèce animale, on évitait l’extinction et c’était déjà un moindre mal. Et les sacrifiés auront été les martyrs morts au champ d’honneur pour établir un monde meilleur.
Pour ce qui est d’Homme, son cas sera d’ores et déjà réglé : même s’ils ne le laisseront pas transparaître comme tel, il sera bel et bien amené à disparaître. Car Gaïa, qui connaissait la vraie réalité des dégâts infligés à cette Terre affligée, leur aura signifié qu’elle allait sombrer incessamment, ce ne sera l’histoire que de quelques instants, ensuite, il n’y aura même plus besoin de pansements.

Autant d’en bas l’état de dégradation de la planète n’était pas net, autant s’élever apportera plus de précision et de clarté. Leur monde vu de là-haut ne sera déjà plus que chaos. A bout de souffle et poussé à bout, il sera sur le point de s’écrouler. Cette sphère patibulaire, la planète Terre, aura une allure d’enfer. Et à sa vue, les animaux oublieront leur abus et se sentiront confirmés dans ce qu’ils auront voulu.

Effectivement, ils auront bien fait de s’exiler, car inexorablement et en l’espace de quelques instants, la Terre changera de matière et c’est de leur place, en lieu sûr, qu’ils regarderont ce monde devenu pourriture.
Pour tous, et même pour la famille des rapaces, ce sera le premier voyage dans l’espace. Dans le passé, certains animaux y étaient bien passés : un ancêtre de Chien y avait même séjourné un grand nombre de journées en compagnie de ses maîtres, pour se soumettre à des expériences et ça avait été un voyage auquel il aurait volontiers renoncé tant on avait abusé de sa patience. La découverte de cet espace infini et infiniment spacieux se fera avec des yeux visiblement ébahis. Les regards se détourneront de leur natale planète, à laquelle ils auront déjà renoncé depuis belle lurette. Résolument tournés vers l’avenir, ils regarderont les étoiles luire : l’une de celles-ci était leur logis à venir. Peut-être auront-ils bien fait de renâcler à contempler le désolant spectacle de leur ancien habitacle, car cette débâcle accablante du vivant sera vraiment d’un navrant… Voir tant de richesses en détresse et tant de beautés partir en fumées épaisses aurait flanqué un sacré coup au moral de ces espèces animales casse-cou.

Pour un peu, leur départ serait arrivé trop tard. L’apocalypse ne tardera pas, le cataclysme arrivera à grands pas. Par un effet d’entraînement et en un rien de temps, tous les maux s’abattront en domino sur l’ancien monde des animaux, succession de catastrophes naturelles et artificielles : raz de marée, ouragans spontanés, super-tsunamis, tremblements de terre, éruptions volcaniques et explosions atomiques… Ce Déluge-là sera au moins aussi violent que le précédent, il y aura un de ces grabuges entre les éléments et les habitants ! Ne croyez pas qu’il y a hyperbole et que c’est extrapoler ! Car l’accumulation des bénignes et des malignes atteintes ne pouvait laisser envisager des conséquences en demi-teinte. Trop de gouttes de trop auront fait déborder le vase : il y aura de l’eau dans le gaz et celle des océans recouvrira les côtes à la vitesse d’Hase, y déposant une épaisse vase. Les fléaux échappés de la boîte de Pandore se déverseront sur les restes de vie qui persistaient encore.

Cette apocalypse sera exactement comme on se l’imagine : une totale éclipse, une vraie mine. Tous les éléments seront déchaînés, enchaînant végétaux, animaux et humains dans l’étau de l’infernale spirale du mal et des maux. Malgré leurs capacités de résistance et d’adaptation, tous les êtres en vie seront invariablement pourchassés par les événements, et cela jusqu’au dernier. Les êtres terrestres seront emportés, balayés par la terrible marée, dépériront et pourriront sous les limons, périront et quitteront pour toujours ce monde englouti. Les êtres peuplant les airs ne seront guère plus heureux dans l’histoire, éconduits par le vent et sans perchoir, conduits à se laisser choir. Et ceux qui se croiront à l’abri en milieu aquatique ne seront pas mieux lotis et pas moins en panique.
Terre entière sera donc transformée en gruyère par les mers, grignotée et morcelée par les marées. Fini les amis, ci y gîtera la vie.

Dans le combat, volontaire ou involontaire, mené par Homme contre Terre, il n’y aura que des vaincus, c’est pas de cul. Terre aura chuté et entraîné son adversaire à terre. Y aura-t-il pour elle une part de suicide dans ce matricide, un éclair de lucidité pour mettre fin aux hostilités ? On est en droit de penser que Terre aurait encore pu résister quelques temps, mais l’issue était connue depuis bien longtemps. Peut-être Gaïa ne sera-t-elle pas étrangère à la débine accélérée de Terre, souhaitant éviter que ne soit contaminé Univers. Du fait de son incessant progrès technologique, Homme aurait un jour ou l’autre été en mesure d’exporter à l’interstellaire ses produits toxiques. Quoiqu’il en soit, ce genre de dangers semblera écarté quand, pour son plus grand malheur, Terre aura subi un lavement purificateur. A la bonne heure ! Après la colère, quand tout le monde aura été puni, elle aura l’aspect d’une sphère à la couleur unie, de bout en bout recouverte par une couche de boue, le tout noyé à cent pour cent sous l’océan. Elle méritera alors un petit peu plus son surnom, la Planète Bleue.

Certes, certaines formes de vie aquatique subsisteront mais plus rien de digne de ce nom, ni de magique. Finalement, tout ce grouillement de vie était né des océans et, réduit à néant, y sera retourné.
Des millénaires d’histoire dormiront sous les mers : une gigantesque Atlantide au fond de l’unique Atlantique. Immobile, la civilisation fossile témoignera du crime et de ses mobiles.

On peut s’apitoyer longtemps sur ce pitoyable événement, car chaque vie est unique et donc chaque disparition dramatique. Mais quand on sait que Terre n’est qu’un infime fragment d’Univers, cette perte apparaîtra cependant un peu plus secondaire. Et puis, toute vie terrestre aura-t-elle vraiment disparue ? Non, car un petit groupe de volontaires téméraires aura quitté Terre dans le but de se soustraire à ce destin contraire et à ce terrible adversaire.

Mais même partis de Terre, ces derniers représentants animaux ne seront pas pour autant sortis d’affaire, car la belle était devenue une trop petite poubelle pour un tel mortel. En effet, traversant la décharge dégueulasse que sera devenue l’espace, l’arche manquera de peu de se faire pulvériser par un déchet de ce capharnaüm, comme un dernier geste posthume et désespéré de ce cafard qu’est Homme.


* * *


Ce qu’Homme aurait dû savoir dans cette sinistre et triste histoire, c’est qu’on n’est pas intelligent si on oublie qu’on dépend de son environnement. S’il avait pensé à assurer sa survie et celle de ses petits, tout le monde n’aurait pas eu à en payer les pots cassés et pourris.

La morale bien peu affable de cette fable en rimes, c’est qu’on ne peut continuer à ce rythme-là si l’on veut un avenir fiable : il faut un développement soutenable et viable et si l’on ne veut pas faire de notre planète tellurique une Terre lunatique et invivable.

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