Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Chapitre 8 : Des hauts, des bas, des bassesses et des débats

Le félin ne tombera pas dans le piège de ce malin de Chien. Lion, dont l’un des atouts était de tout savoir sur les forces et faiblesses de chaque espèce, connaîtra parfaitement son aisance à corrompre les consciences, technique dont Chien avait en abondance fait l’expérience sur Homme. Il n’aura jamais sous-estimé le pouvoir des yeux de Chien à inspirer la pitié ou la compassion, c’est selon. Et il réalisera maintenant à quel point l’humain avait salement déteint sur Chien, qui utilisait désormais allègrement l’émotion pour mobiliser les opinions.
Il sera temps pour le sire de se ressaisir et d’en finir :

- Chien, ne joue pas l’intellectuel ; avec ton esprit superficiel, tu ne sembles pas réaliser qu’il s’agit ici d’un cas exceptionnel, d’une première autant par l’urgence de la situation que par la nature de l’accusation. En outre, en outrageant les lois du bon sens, Homme se met une fois pour toute hors-la-loi et hors de toute défense. Ce procès dépasse toutes les règles du droit et de la justice appliquées jusqu’ici. Pour la première fois n’est pas jugé un individu d’une espèce mais une espèce et tous ses individus. C’est la justice de Gaïa qui prend là le dessus et qui impose une intransigeance totale contre l’abus fatal de cet être puéril qui met l’existence d’une planète entière en péril. Pile ou face, quoiqu’il se passe, c’est Gaïa qui a l’as : l’issue de ce procès sera peut-être vaine mais restera jusqu’au bout incertaine, car nous ne sommes pas les derniers maîtres de nos destinées ! Notre décision finale, si de Gaïa elle a l’aval, ouvrira la voie à une vraie démocratie multiraciale, car la majorité absolue aura enfin la parole, fermant ainsi la gueule à l’ex-idole des groupies asservies, à la gente des gens que nous haïssons tant ! Il ne s’agit pas ici de nous montrer justes mais juste de prendre, pour de bon, la bonne décision.

- Qui est… émettra Chien, à moitié incertain.

- Vous la connaissez tous et toutes aussi bien que moi : au diable cette fois nos pulsions refoulées, nos frustrations cachées et notre patience illimitée ! L’heure n’est plus à espérer, car des siècles d’espoir d’une vie sans histoire ne nous ont conduit qu’à reculer, au quotidien, devant ce vaurien. Combien de fois avons-nous, dans notre lit, fait des rêves fous et élaboré des scénarii de fou visant à lui faire payer ses tueries ? Et combien de fois avons nous réalisé ces projets ? Les statistiques nous donneraient à tout casser un taux de zéro un pour cent, ce n’est évidemment pas assez… Certes, certains ont bien réussi à punir cet Homme minable pour ses crimes abominables. Mais les rares fois où cette vengeance a pu se concrétiser n’ont été que des actes isolés : ici Requin Blanc a pu, sur un malentendu, croquer un surfeur imprudent, là Loup a pu faire la peau à la bergère du troupeau mais en fin de compte, ce damné d’Homme sort quasi-indemne et sans aucune honte de ses exactions envers les mondes minéral, végétal et animal !
Il faut sévir, et pour de bon, car nous avons la solution : elle se trouve dans l’union et la répression contre l’oppression, elle consiste à utiliser notre malheur contre l’oppresseur. Le temps fut trop long où nos divisions et nos caprices ont empêché toute intervention salvatrice. Mais celle-ci viendra en temps voulu et nous auront besoin de vous, traîtres à la traîne, et de vos sciences politiques, diplomatiques et humaines.
Evidemment, cela ne sera pour personne un choix évident. Condamner un terrien, c’est tout de même condamner un contemporain, un concitoyen, même s’il est plus con que citoyen. Moi-même qui l’accable devant vous, ça me fait tout che-lou parce qu’il m’arrive aussi de le trouver aimable. Mais on n’est pas là pour faire au cas par cas, les gars ! Car voilà qui nous amène à nous poser bien des questions sur cet énergumène et en particulier celle de la nature humaine. Moi, quand je vois une infime cellule qui pullule, pollue et s’en prend à l’organisme auquel elle appartient, j’en viens à me poser des questions : est-ce bien une cellule comme moi ou juste un greffon rajouté, un rejeton à rejeter ?

- Que ce genre d’inepties puisse sortir de la gueule de notre soi-disant roi me laisse pantois, mais pas sans voix ! Voyons, Lion : ce discours est un peu court, dis-moi… Pourquoi voir des différences là où il n’y a que des dissemblances ? Vue de l’extérieur, notre étrange assemblée de spécimens parlants doit d’ailleurs avoir l’air étonnamment humaine. Homme ne nous est pas en tout point opposé, c’est un théorème de base à poser. Je sais de quoi je parle : je l’ai longtemps observé et j’ai pu remarquer qu’il existait autant de pluralité au sein de la famille des humains que dans l’animalité. Bon ou moins bon, il n’en existe pas deux identiques, mais ils ont pour commun point commun d’être bordélique. C’est le genre de locataire qui n’a pas pour priorité de laisser le studio dans l’état où il l’a pris, qui ne l’a pas appris, ou qui, en se développant, l’a oublié. Et au fil du temps, vil taudis est devenu l’appartement. Tous autant que nous sommes, habitants végétaux, animaux ou humains, nous ne sommes que des cellules vivantes, composantes de Gaïa, qui, sur terre, en l’air et dans les airs, vive, hante Terre. Toutes nos actions ont pour unique conséquence de participer à la vie de l’esprit. Et de ce point de vue, il y contribue au moins autant que nous, amenant avec lui sciences, arts, cultures, passion, ou encore réflexion. Sans aucun doute son apport et le nôtre sont-ils sans commun rapport même si ça n’empêche pas l’autre d’être en tort…
Car force est aujourd’hui de constater qu’Homme peut être considéré comme un cancer qui nuit à la santé de notre belle planète Terre Je vous rejoins dans ce diagnostic, Lion, mais il y a un hic ! Cela ne signifie pas qu’il s’agisse d’une cellule à réduire à l’état de bulle. Homme est une cellule défectueuse et infectée qu’il s’agit là de soigner plus qu’un virus à éradiquer. Car comme n’importe quelle espèce du vivant, il est indispensable à son bon fonctionnement. A mon avis, la priorité n’est donc pas de le juger et de le condamner, comme vous semblez tous prêts à le faire ; au contraire, il est de notre devoir d’examiner ce patient imaginaire et de trouver les remèdes à sa maladie, même s’il ne manque pas d’air. Cesse donc de jouer l’hyper crétin, le technocrate qui ment pour enfin répondre au serment d’Hippocrate. Si je me fais son avocat pour son bien, je vous demande à vous tous, jurés, de vous faire son médecin. Car la pure et simple sanction ne nous fera pas sortir de cette dure situation. Peut-être y a-t-il une prévention à faire en amont ? Nous n’avons pas fait preuve d’attention et nous n’avons pas su mettre en œuvre des mesures de protection quand il en était encore temps, alors, lors de cette rencontre, ce serait aller contre le bon droit et la raison que de pratiquer directement la répression à son encontre. Notre mission va au-delà du seul procès, c’est ce que Lion a oublié de préciser : nous nous devons de laisser à Homme une dernière chance de se rattraper, signer avec lui un nouveau bail et le remettre dans les bons rails. Et je suggère que l’on coopère avec ce compère pour sortir Terre de son état précaire. A commencer par le climat, qu’il nous faudra re-régler et rien que pour ça, nous aurons besoin de bien des bras !

Déterminé à mettre ce coriace canin à l’épreuve, Lion se décidera à avancer en terrain miné, sans preuves :

- Voilà maintenant que tu plaides en faveur de son aide ? C’est Terre à l’envers ! Faire appel à lui pour réparer ses dégâts, ce serait faire comme Homme quand il a recours à la climatisation pour lutter contre l’augmentation de la température : ça aggraverait l’état de fait sans apporter de solution. L’humain vit bien au-dessus de ses moyens. Il méprise ses ressources naturelles limitées, tellement que ça frise la débilité ! Et puis, il n’aurait pas la manière ni assez de matière pour lutter contre l’effet de serre qui fait tant transpirer Terre. Cette démarche lui demanderait non seulement de réparer ses erreurs grossières, mais aussi de faire marche arrière, d’aller vers plus de simplicité et de sobriété. Je ne l’en crois plus capable, son inertie notable ne laisse entrevoir aucune éclaircie, et il est trop tenté par le superflu, par l’appropriation et l’accumulation pour ne pas céder à la tentation. Maintenant on a atteint un point de non-retour et tout ça à cause de ce putain de lourd, qui, pour sûr, n’a pu voir le jour avec le recours de l’amour. Et si Homme n’était pas un enfant désiré de Gaïa ? Je pose la question car la question s’impose ! S’il était arrivé sans que sa présence n’ait été souhaitée ? Peut-être cette petite terreur est-elle le résultat d’une petite erreur de manipulation de Gaïa ou d’un dysfonctionnement dans le mouvement de l’évolution : le merveilleux mécanisme de la vie n’est pas sans faille et les yeux de Gaïa ne sont pas sans paille…

A ces mots, Paon fera la moue puis, d’un coup, fera la roue, ses chatoyantes couleurs devant tous étalées, et il laissera tomber :

- Ah la la ! Le procès dure…

Cette pirouette deux en un sera son moyen à lui de montrer son mécontentement devant la tournure que prendront les événements. Paon, talons baissés, montrant ouvertement son arrière-train, prendra la posture exhibitionniste et impudique qu’on affectionnait tant dans sa clique. Ce Paon teint, lui-aussi manipulé par Homme, trouvera étrangement ici l’occasion de manifester sa présence et d’exprimer son opinion. Car si c’est un us et coutume de coutume chez les animaux que de montrer son derrière, cela constituera, à ce moment précis et de sa part, une insulte à part entière. Il n’appréciait pas qu’on s’asseye ainsi sur Gaïa, qu’on révise l’histoire rien que pour foutre le bazar. Mais le flamboiement des couleurs de sa queue ne touchera que bien peu le cœur des acteurs : la nuit, tous les habits sont gris.
Ignoré comme il se doit et comme moins-que-rien par le roi comme par Chien, Paon rangera ses plumes et laissera le molosse présumer, tout sauf féroce :

- Lion, crois-tu Gaïa capable d’une telle aberration ? N’as-tu rien de pire comme dires ? Supposer qu’Homme est le résultat d’une évolution non désirée, c’est remettre en cause la perfection même de Gaïa, et cela s’appelle du blasphème ! L’avènement d’Homme fut le fruit de sa volonté propre, et de rien d’autre… Crois-tu notre mère, pourtant omnipotente, incapable de maîtriser le processus de l’évolution galopante ?

Lion, les traits fendus d’un rictus mauvais, répondra :

- Et toi, Chien insipide, crois-tu Gaïa assez stupide pour engendrer un enfant matricide ? Aurait-elle décidé de mettre fin à son existence, et à la nôtre, en donnant naissance à cet être autre qui causerait sa perte ? Si je blasphème, ce que tu assènes pose aussi problème !

La biodiversité animale se retrouvera autant dans leurs caractéristiques morphologiques et psychologiques que dans les courants religieux, qui, bien que considérant tous Gaïa comme être supérieur, auront différentes intensités dans la ferveur.

Une partie de ces artistes avait en effet une foi animiste et pas triste. Les « gagas de Gaïa », extrêmement fervents, voyaient en tout être vivant un ami permanent. L’adoration indéfectible qu’ils vouaient aux éléments de la nature offrait souvent un amusant spectacle, fait d’excès dans la mesure et d’accès de démesure. Pour certains, manger un autre être vivant animal pouvait alors devenir un supplice insupportable. Beaucoup de carnassiers seraient depuis longtemps devenus végétariens s’ils n’avaient crû impénétrables les voies de Gaïa et les lois de Terre, s’ils n’avaient risqué de briser l’équilibre de la chaîne alimentaire et de végéter à ne rien faire. Serpent à Sonnettes, gourmand d’omelette et ovipare, donc très à part, aurait même volontiers opté pour le végétalisme et renoncé, par altruisme, aux œufs d’oiseaux, un régal pourtant vital dans ce grand zoo, s’il ne s’était agit de sa survie. Il se trouvait des êtres tellement sensibles au vivant que le fait même de manger des végétaux révulsait étonnamment. Parmi eux, Raton Laveur était sûrement celui qui y mettait le plus d’ardeur : frottant, baignant, trempant sa nourriture dans l’eau, il perpétuait ce rite ancestral, qui était autant une activité ludique qu’un rituel purificateur et cathartique. Dans le genre mélodrame, il y a aussi Hippopotame, souvent surpris en flagrant délit en train de nettoyer le corps sans vie d’Antilope, de le veiller et de porter le deuil de la dame, au grand dam des goujats et des « anti-lope-sa ».

Il existait par ailleurs un mouvement spirituel qui avait le vent en poupe et dont la pierre angulaire était la foi dans le groupe, cela au travers d’un fort instinct grégaire. Pros du management et des ressources animales, semblables au mouton de Panurge dès que ça urge, la communauté prenait pour eux l’ascendant sur l’individualité. Et Gaïa était pour eux un aimant, le ciment qui les maintenait soudés contre les éléments, avec le sentiment que un plus un font cent.

A l’inverse, il y avait aussi une frange animale qui n’avait foi qu’en le « moi ». Pour elle, le seul moyen de faire front à la loi du plus fort et à la mort était de ne compter que sur soi. La vie en solitaire et au grand air était pour ces hardis-là le plus beau des paradis.

Enfin sévissait chez les traîtres, soi-disant incultes, un courant religieux qui s’était vissé à Homme, et qui lui vouait un culte. Dès son apparition sur Terre, ses caractéristiques si particulières avaient effrayé, émerveillé un certain nombre d’animaux, les plus faibles selon les moqueurs, et la réponse à de tels sentiments avait été la constitution d’une croyance en Homme comme prophète, comme envoyé de Gaïa sur la planète. Il était pour eux un être semi-divin, un héros qu’ils tentaient d’imiter, en vain. De l’admiration à la domestication il n’y a qu’un pas : dans leur combat pour la survie, ils avaient trouvé comme échappatoire la soumission et comme exutoire la religion.

Les frontières entre croyances n’ayant rien d’imperméable, les influences réciproques auront créé un ensemble fait de bric et de broc, les plus sages piochant ici et là, mélangeant des éléments ad hoc, tendance new age. A une autre époque, ce syncrétisme aurait eu des allures de saint crétinisme.

On retrouvera ces différentes conceptions dans les oppositions récurrentes et c’est pourquoi procureur et avocat auront du mal à s’accorder sur le cas d’Homme, chacun s’étant accommodé du lien qu’il voyait entre l’esprit divin et la naissance du bébé.

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