Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Chapitre 14 : De retour sur Terre

La tête pleine d’images et de paroles tout sauf en l’air, Gaïa redescendra alors sur Terre en sachant exactement ce qu’il lui restait à faire. La foule animale sera presque dans l’état où on l’avait quitté : les artistes se trouveront juste un peu dépités sur la piste : post coïtum, animal triste. Mais, enfin en paix, ils se sentiront aussi plus légers, vidés, libérés et ils s’en remettront au patron. A la belle étoile, les têtes dressées, ils auront vu se lever le voile de la guerre qui les avait auparavant aveuglé et c’est avec l’agréable impression d’avoir lâché du lest qu’ils contempleront la voûte céleste.

Ce qui aura avant tout de l’importance, c’est que toutes les tensions et les violences, il y a peu encore à leur comble, seront retournées dans les combles grâce ou à cause de cette drôle de pause, laissant la place à une imprévisible osmose, les laissant tous de glace, sur pause. Pour eux, le temps se sera arrêté le temps d’un ardent baiser au clair de lune, et tous les compteurs auront été remis à zéro simultanément par le médiateur Eros. Bien aidés par ce remontant typique qu’est la nique, les sauvages auront intégralement digéré la trahison initiale, quant aux domestiques, ils se seront émancipés de l’esclavage mental auquel les astreignait leur mentor et admis, cette fois, qu’ils avaient été dans le tort.

Même Lion, aux mèches et à l’esprit rebelles, se montrera docile devant Gaïa et son apparition surnaturelle. Après tout ce qu’ils avaient pu voir en cette soirée, ce n’était pas sa discrète arrivée qui aurait pu les étonner. Etre intangible, ayant toujours fait le choix de rester invisible et étant du genre qui s’entête, elle ne se manifestera à eux qu’à travers une petite voix présente dans toutes les têtes, dans cette langue universelle, dont ils avaient découvert qu’elle était innée à tous les êtres vivants qu’elle avait engendrée. Gaïa, qui sentira peser sur ses épaules l’avenir de cette faune d’entre deux pôles, se sentira rassurée par cette vue sans pour autant voir sa tâche assurée. La tempête qui avait ébranlé tous ces sujets avec tant de tranquillité laissera tout de même supposer un chantier facilité. On aura tour à tour entendu le procureur, l’avocat et les jurés, restera au juge suprême de cette cour, Gaïa, à se prononcer. Prenant Taureau par les cornes, elle s’adressera silencieusement à cette assemblée à l’œil morne :

- J’ai cru un temps que vous n’aviez rien compris. Je ne vous ai pas réuni ici aujourd’hui pour que vous vous querelliez mais pour que vous vous rebelliez. Je ne vous ai pas réuni ici pour vous regarder jacasser, jacter, vous voir vous chamailler, vous encanailler, mais pour que d’Homme vous fassiez le procès ! Au lieu de cela, comme Brebis, vous vous êtes égarés en chemin, éludant la question numéro un, pour vous préoccuper de tout un secondaire tintouin. Même toi, Lion, tu n’as pas su mettre de côté tes rancœurs, résolution qui pourtant te tenait à cœur. La communication a du bon, mais à outrance, elle laisse un goût rance dans les bouches et bouche les perspectives de compréhension. Vous n’êtes pas faits pour vous exprimer et vous l’avez joliment démontré. Malgré les bonnes intentions de départ, vous avez eu du mal à oublier ou accepter vos différents. Je tenais à voir enfin en vous des animaux debout, dignes de tout : manger, boire ou tirer leur coup ! Dieu merci, vous ne vous êtes pas entredévorés, de l’eau vous n’avez pu abuser, et vous vous êtes donc décidé pour la dernière des possibilités. C’est ce qui vous a sauvé ! Car vos palabres auraient pu vous mener à une fin macabre. Heureusement vous semblez désormais avoir trouvé l’union et pris la bonne décision. Je suis flattée de constater que ce qui vous a tous réuni est ce qui mâle et femelle unit. Pas mal ! Au final, la raison d’être de la vie a eu raison de vos incompréhensions pour vous permettre de vous sauver la vie. Puisque la culpabilité humaine ne fait plus aucun doute, puisque vous vous êtes ligués contre lui tous et toutes, il nous faut nous sortir de là coûte que coûte. L’apparition d’Homme au cours de la création fut une aberration, une trop grande ambition synonyme de perdition. Notre malheur fut mon erreur, et nous sommes tous dans le même sac à cette heure ! Nous ne pouvons plus vivre sans cesse dans la peur d’un fléau destructeur de trop grande ampleur. Moi non plus, je n’en peux plus de voir chaque jour Terre se dégrader un peu plus. De dépit devant vos récurrentes prises de bec, j’ai failli laisser brûler votre logis et vous avec. Mais si pour Terre, il n’y a plus rien à faire, en ce qui vous concerne en revanche, il y a du pain sur la planche. C’est pourquoi j’ai décidé de renier Homme, mon fils, mon plus beau fruit, mais aussi le plus pourri et de le laisser s’enterrer sur Terre avec le reste de la vie tandis que je vous la sauverai. Cet ostracisme à l’envers passera peut-être pour un acte de racisme, mais il sera salutaire. Vous tous ici présents serez les graines que je sèmerais dans un nouveau champ afin que de plus belle la vie reprenne et avec elle, les chants ! Des heures meilleures nous attendent, mais ailleurs.

Comme pour signer cet accord, comme si Gaïa avait lâché la corde, telle une flèche, l’arche se pointera, et l’instant suivant, elle sera là, plantée au milieu du décor. Pas tout à fait grotesque en un décor si dantesque, cette œuvre titanesque aura des dimensions gigantesques, des flancs flanqués de fresques et d’arabesques ainsi qu’une contenance suffisante pour accueillir toutes les espèces, ou presque. La nouvelle venue ne sera pas une inconnue, jouissant d’une célébrité exceptionnelle, avec son air de vaisseau voilé aux larges ailes, taillé pour la célérité, comme Gazelle. Zélée s’il en est, elle avait autrefois sauvé des hommes et des animaux des eaux. Depuis sa dernière sortie, elle était restée, à l’arrêt, sur les arêtes du sommet d’Ararat, là où les eaux du Déluge l’avaient déposées lorsqu’elles s’étaient retirées. Longtemps prisonnière des glaces, elle en avait été libérée grâce à la fonte de celles-ci, à mesure que le climat s’était radouci. Après des milliers d’années d’inactivité, l’arche de Noé, reprendra du service, et d’arrache-pied !
Il avait fallu un canoë à Noé pour éviter la noyade, il faudra un vaisseau à tous ces animaux pour échapper à la débandade, un avion afin que Lion et ses compagnons ne prennent pas le bouillon. Et si ce bateau volant n’aura, cette fois-ci, pas de place pour les représentants de l’humanité, ceci n’aura rien de très étonnant.

Devant ces portes grandes ouvertes, c’est somme toute en toute logique que l’ensemble de ces espèces zoologiques embarquera d’un pas décidé et un peu académique. L’urgence et l’esprit grégaire auront pris le pas sur la prudence, sur les dernières réticences et devant l’imminence du danger, l’unanimité régnera chez les nomades comme chez les sédentaires de Terre. Cette incessante sensation de sursis les aura poussé à se mettre au plus vite à l’abri. Chacun aura finalement depuis longtemps renoncé à l’espoir d’y voir un nouveau soir, cessé de croire que celle qui avait été à la fois leur mangeoire leur abreuvoir et leur dortoir était seulement en phase transitoire et, à leur grand désespoir, commencé à l’envisager en tant que mouroir. Il n’y aura plus guère de mystère, il leur faudra quitter Terre.

Alors que, comme les autres membres de la réunion, il fera la queue pour pénétrer l’appareil, l’élément moteur et grand vainqueur de cette rébellion, Rebelle Lion, entendra Gaïa lui souffler à l’oreille :

- Du reste, Lion, tu as joué à merveille ton rôle de maître de réunion et de cérémonie et je t’en remercie. Je ne serai pas prolixe envers un diplomate si émérite car avoir évité la rixe ne fut pas le moindre de tes mérites. J’ai craint un instant de perdre la biodiversité que j’aime tant. Avoir su si bien calmer les ardeurs est tout à ton honneur de commandeur. Il en fallait un pour mener à bien ce dessein et ce fut toi, sans que j’ai eu besoin de te faire un dessin, car tel était ton destin : des animaux tu es bel et bien le roi ! L’impartialité n’est pas chose aisée et de ta tâche tu as finalement su t’acquitter avec l’honnêteté dont tu es coutumier. Ton statut fut par le passé contesté sur Terre par qui-tu-sais, qui a fait plus que te tester et t’a fait mal, mais à l’avenir, tu seras au quartier général le premier animal. Et ce n’est pas cher payé pour le sherpa que tu as été.
Sans le savoir ou sans l’avoir encore réalisé, vous tous avez ici conçus les futurs immigrés de deuxième génération, ceux-là même à qui vous venez d’éviter le grand plongeon. Grâce à toi, grâce à ta foi et à ton inspiration, ces embryons encore en gestation trouveront à leur naissance une vie pleine de sens et un autre horizon, et tous auront pour toi de la reconnaissance. Maintenant, rentre à ton tour dans cette arche et guide ton peuple dans sa longue marche. Je vous emmène en bateau et mènerai la barque jusqu’à ce monde nouveau où vous devrez trouver vos marques.

Et, fermant la marche, Lion, le patriarche, franchira la dernière marche pour entrer dans l’arche et quitter sa patrie dans le temps imparti. Les portes se refermeront derrière lui et il se sentira pris par une vaste vague de nostalgie et d’ennui. Il sera trop tard pour renoncer au départ et faire demi-tour, ils auront tous en poche un billet aller sans retour. Les mots ne manqueront pas dans son vocable pour désigner cette décision irrévocable, incroyable et, quelque part aussi, insoutenable. Ce départ était une aberration de mauvais aloi mais c’était en soi la dernière solution.
Ils laisseront derrière eux beaucoup de congénères et à cet instant, leurs pensées iront à ces bouc-émissaires, à ceux dont le sacrifice ne serait pas un vain vice et qui allaient incessamment mourir sur Terre et devenir poussières. Qui pourra pour cela traiter ces protagonistes évadés d’égoïstes ? Opportunistes, ils se seront tout simplement trouvé sur la bonne liste et auront suivi la bonne piste. L’essentiel sera bien là : dans l’appareil ils seront tous là. Ces représentants des espèces animales auront fait le principal en évitant la disparition et en choisissant l’émigration.

Echappés de leur prison en feu, ils fuiront, silencieux, à la recherche d’autres cieux. Comme un symbole, Gaïa aura retiré à ces fuyards la parole dont elle leur avait fait l’obole. Elle en aura fait l’expérience lors de cette séance plénière : les pleins pouvoirs d’expression et de danse avec les mots et les notions n’étaient en rien synonymes d’espérance. Ils ne leur seraient d’aucune utilité, car ils ne conduiraient pas à une amélioration de la condition de ces espèces en perdition. L’échantillon de vie prélevé et sauvegardé via cette rébellion sera le seul butin de ces mutins.

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