Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Chapitre 10 : Break dans ce procès

Lion aura été assommé par ce qui venait d’être annoncé et il tentera désespérément de s’accrocher au socle de sa fierté illustre, sur lequel il se maintenait si facilement depuis des lustres. Incapable de remettre en cause cette affirmation nouvelle et invérifiable sur le moment, Lion sera d’autant plus mal à l’aise que ce qu’il espérait toujours être une hypothèse apportait une réponse à la question qu’il l’accompagnait tous les jours : pourquoi le roi des animaux n’avait-il hérité que d’un pastiche de force physique, tandis qu’Homme s’était vu offrir parole, adresse, clairvoyance et science ? Certes Lion avait reçu le plus beau cadeau qui soit : il va de soi qu’il en va de sa crinière de soie. Mais il l’aurait volontiers troqué contre deux mains équipées de pouces en opposition des autres doigts, comme il se doit, comme Homme. On disait en effet de Lion qu’il était gauche, qu’il était né avec deux pattes gauches ; pour un roi c’est auch ! Puissantes, mais gauches. Pratiques pour la chasse mais inaptes à tenir une tasse, à faire une passe ou à tirer la chasse. Ses coussinets les rendaient agréables pour marcher et courir mais s’il voulait saisir quelque chose, même quelque chose de facile, ils lui rendaient la tâche difficile. Si ses deux pattes avant avaient pu lui être utiles à autre chose, il se serait lui aussi tenu debout et aurait pris la vie par le bon bout, comme Homme. Et ce faisant, il ne serait pas resté à quatre pattes, carapaté à l’âge du fier et aurait pu vivre tout-puissant et pépère, comme Homme.
Après avoir été si actives, la gorge de Lion se trouvera sèche et sa langue râpeuse, ce qui arrive, mais il n’empêche, où sera donc passée cette salive il y a peu si généreuse ? Sur le moment, il enviera Chien, qui, en toute circonstances, en avait en abondance, de cette bave dégoulinante, si dégoûtante. Etait-ce ses longues tirades ou bien son épaisse coiffe qui lui donnaient si soif ? Car si la faim sera absente de leurs esprits, il n’en n’ira pas de même de leur besoin de boire et cela à leur grand désespoir. Et l’eau du fleuve, du fait de sa salinité, ne leur sera d’aucune utilité. « Inch’Gaïa, on aura bientôt de l’eau et on se gavera… » pensera Dromadaire, ascète du désert, qui connaîtra un peu les contraintes de la sécheresse et le syndrome de la langue sèche et rêche.

Peu concerné par ces préoccupations d’ordre matériel, Chien profitera lui aussi de ce long break pour réfléchir de plus belle. Il s’agira pour lui de ne pas perdre de vue les objectifs affichés d’entrée, à savoir amener ce vaste jury à l’indulgence et contrecarrer les plans de la régence. Mais dans sa course à la défense d’Homme, il ne sera pas sûr d’avoir fait le bon choix en révélant le pourquoi de la présence du paumé ici-bas. La déception de l’immense majorité de la population sera alors à la hauteur de leur foi en Gaïa en apprenant qu’elle les avait négligée et que l’autre leur avait toujours été préféré.
Et Gaïa sait pourtant que gagner la voix des sauvages sans enfreindre la loi sera dans ce procès un but essentiel à atteindre. Ce qu’il appelait de tous ses vœux, c’était en premier lieu convaincre ces envieux, et ce pour mieux vaincre. Dans cette optique-là, il se sera peut-être un peu emballé, un peu laissé aller. Entraîné par l’émotion, enhardi par le défi, il avait dévoilé, quasiment de but en blanc, un mystère sur lequel le voile était resté tiré pendant des millénaires, comme sur une toile, une œuvre d’art. Pourquoi donc n’avait-il pas fermé sa gueule ? Bonne poire, aurait-il gratté la mauvaise corde et cueilli une pomme de discorde et d’histoires ?
Serpent par exemple, qui avait des antécédents avec cet aliment, aimait que les choses aillent en s’envenimant et ne se gênerait sûrement pas pour attiser la pagaille. Homme, que cette langue fourchue effrayait autant qu’elle lui répugnait, l’avait maintes fois répété : « Je me méfie de toi et de tes sornettes, perfide reptile qui siffle sur nos têtes, car tu as jadis causé ma perte. Mais tu ne perds rien pour attendre ta punition, mon p’tit Python ». De fait, Serpent aura été mille fois puni depuis, pourchassé par celui qui l’avait pris en grippe, pour son plus grand bad trip.
Ainsi, ses révélations pourraient avoir eu pour effet de faire jaser, de cristalliser les opinions à son sujet, déjà passablement passables au préalable. C’était se tirer une balle dans la patte : s’il contribuait à faire s’abattre sur Homme l’opprobre général, alors sa cause serait entendue et son client définitivement perdu. De peur de voir définitivement les mouches changer d’âne, il préparera son offensive prochaine pour ne pas qu’elle l’offensent aussi, les naines !

Lion, comme à son habitude, tirera profit de ce quart-temps reposant pour faire un peu de tri dans les cartons de son esprit. Il faut dire que ce sera un joli bordel que l’intérieur de cette cervelle ! A croire que sa crinière ébouriffée sera l’exact reflet de sa cervicale cavité. Un amas gigantesque d’informations en tout genre s’y déplacera dans un fracas bourdonnant qui lui donnera l’impression qu’Abeille butinait le miel de ses oreilles. Ce sera éreintant que d’essayer de retenir le trop-plein de mots qui s’accrochaient à ses nouveaux organes vocaux. C’est pour ça qu’il passera tant de temps perdu dans ses pensées, car il aura beaucoup de travail à trier toutes ses idées.
De sa superbe d’antan ne restera que sa superbe crinière, toujours d’un imposant ! Les traits tirés, comme des rides de l’âge, son visage ne sera plus que fatigue et désarroi : il restera bien peu du prétendu roi. Il avait toujours reconnu le statut de privilégié d’Homme mais sans jamais faire le lien avec le divin. Que sa supériorité puisse être issue d’une farouche volonté divine et non du hasard de l’évolution n’aura jamais effleuré son intuition. Ce sera donc un véritable coup de poignard dans le dos, auquel il n’aura pas été du tout préparé, quel embarrassant fardeau ! Les doutes l’assailliront, comme souvent lorsqu’il se trouvait confronté à un fait sortant de sa réalité.

La soirée sera alors déjà bien avancée sans que personne n’ait vraiment vu le temps passer. Seule la nuit, maintenant épaisse, sera le signe tangible que le temps continuait son cheminement vers l’avant, les rapprochant à chaque instant d’un néant imminent. Ce manque de repères temporels sera la signe évident d’un souffle spirituel qui, par l’intermédiaire du vent, balaiera la foule et pénétrera tous les êtres pour les déposer sur un autre route, les laissant tantôt atterrés, tantôt attirés, mais toujours envoûtés, ce qui contribuera évidemment fortement à cette intemporalité. Et ce sera autant l’intensité de la joute et la teneur des propos échangés que le caractère mystique des protagonistes et les longs silences en alternance qui captiveront cette foule bigarrée. Perdant tout sens de la mesure, il leur semblera que même l’espace prendra une dimension particulière car, avec les jeux d’ombre et les clairs-obscurs sur les murs lumineux, le décor prendra une toute autre tournure. L’atmosphère sera toujours brûlante, à cause de la température ambiante mais surtout du fait du mélange de tant de corps animaux et de tant de souffles chauds. L’assombrissement du ciel n’aura rien de naturel, car la nuit sera tombé comme la pluie quand elle veut mordre la rose, sans respecter l’ordre et le temps des choses, déphasante et déboussolante. Ce ne sera pas une question de visibilité, car, pour la majorité, ils pourront voir dans le noir. Ennemi de la sécurité, l’obscurité sera pour beaucoup d’espèces superstitieuses le signe annonciateur de malheurs à venir, ranimant la peur des mauvais souvenirs. Bien qu’âgé, Hibou s’élancera d’un jet, lestement, dans l’air noir de jais et il aura l’allure d’un oiseau de mauvais augure.

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