Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Une idée du lieu où se déroule l'action : le Roi Lion fut une source d'inspiration

Chapitre 12 : L'amour, l'appât pour la paix

Il y a des fois où la loi du plus fort est la plus forte et où l’instinct reprend le dessus haut la main. Ce face-à-face n’aura pas la façade d’une mascarade et ressemblera assurément aux prémisses d’un affrontement de rang.

Lion contemplera, l’air étrangement méditant et vaguement épaté, l’agitation qui régnait à ses pattes et il se sentira quelque peu dans le pâté. Etait-ce ça qu’il avait si longtemps voulu, tant attendu ? Maintenant il n’en sera plus aussi sûr, au moment même où il faudra qu’il assure. S’entredéchirer n’allait à coup sûr rien arranger, au contraire tout ne ferait qu’empirer… Et pourtant, lui le premier aurait aimé quitter son rocher, bondir de la scène sur le public et prendre part à cette bagarre obscène autant qu’épique, surtout avec les piques de Porc-Épic.

Mais non ! Si l’assemblée perdait ne serait-ce qu’un seul élément, tout ce procès n’aurait été qu’un non-événement ! Il ne pouvait sérieusement courir le risque de laisser partir une rixe. Il avait promis de maîtriser ses nerfs d’airain et il ne fallait pas qu’il perde du terrain. Prenant au sérieux son rôle de métronome de Terre, il prendra aussi conscience que cela ne serait qu’une obole à Homme, une aumône supplémentaire. Il fallait faire quelque chose d’extraordinaire avant que les choses ne dégénèrent, car malgré leur statut d’émissaires, les uns contre les autres ils se prépareront tous à partir en guerre.

Tous ? Non, car deux phénomènes échapperont à l’emprise de la haine. Les deux Bonobos, bobos parmi les animaux, feront exception, préférant substituer la copulation à l’agression. Forniquant impudiquement, ils s’enverront en l’air impunément. Comme si le salut de ces salauds pouvait venir d’en haut... Alors, dans une subite illumination, Lion le voyeur trouvera dans l’union de ces deux cœurs et de ces deux corps la solution lui venant en renfort. Une partie de fesses, voilà ce qu’il fallait qu’ils fassent, voilà comment ils allaient sortir de l’impasse dans laquelle était plongé ce procès ! La certitude et le soulagement s’empareront de lui en même temps, lui rendant tout son allant. De la voix la plus forte qu’il pourra, il rugira à l’emporte-voix :

- Allons, allons, mesdames et messieurs ! Un peu de calme, baissez vos armes ! Laissons donc tomber ces tensions qui nous rongent, voyons! Nous nous comportons exactement comme le souhaite Homme ! Car voilà ce qu’il veut : que l’on s’entredéchire, que l’on s’entretue et ce, pour son plus grand plaisir ! Et il a bien failli réussir son coup, le filou ! Il a toujours fait en sorte de diviser pour mieux régner. Pourquoi a-t-il exigé de Gaïa des domestiques si ce n’est pour créer d’emblée des relations communautaires délétères sur Terre ? C’est son moyen à lui de maintenir sur nous tous son pouvoir puritain et un peu ricain et par là-même de nous imposer un avenir tout sauf pur et sain, un futur qui tousse. Devrons-nous encore longtemps l’accompagner dans son œuvre maléfique avec compagnes et enfants ? Cela ne se passera pas comme ça ! Non, nous ne nous laisserons pas ce fou de polichinelle brûler la chandelle par les deux bouts !

- You’re right, man ! That’s the anthem : fuck the human system ! lancera ce faux-cul de Phoque en soufflant de manière loufoque, car il suffoquera dans cette fournaise, lui qui préfèrera la VO, anglaise, à l’espéranto des animaux.

En voyant un de ses bons fans abonder ainsi en son sens, Lion recouvrera encore de son aisance. Et avant que celle-ci ne s’égare sans crier gare, c’est avec une authentique mauvaise foi et peu d’égard pour les espèces animales domestiques, qu’il poursuivra, partial et caustique :

- Traîtres, je vous vois prêts à vous battre contre vos frères et vos cousins mais c’est pour le bien d’un ennemi commun ! Quel sortilège peut bien vous avoir lancé Homme pour que suiviez de si mauvais cortèges et que vous tombiez ainsi dans son piège ? Vous n’avez plus aujourd’hui le choix de la position, c’est avec nous dans l’émancipation ou contre nous dans l’opposition, sans plus d’options. Car Homme vient de faire montre de son plus grand talent : même absent, ce faux prophète sait être présent dans toutes nos têtes. Quelle plus belle preuve qu’il nous met à l’épreuve ? Nous l’avons dit et répété, les ravages de cet être peu sage sont pour vous domestiqués comme pour nous sauvages, un trop fréquent orage : il est grand temps de tourner la page ! Si nous voulons sauver notre peau, il va falloir se jeter à l’eau, se mouiller pour stopper cette pluie de malheurs et redonner au ciel de sa couleur. Ce procès n’a que trop tergiversé et nous avons assez versé dans l’excès. Certes, beaucoup de choses nous opposent mais je pose comme objectif que nous retrouvions notre collectif dans l’osmose. Il ne faut pas se tromper de destin : nous sommes des animaux, pas des humains ! Vu l’urgence de la situation, il faut avant tout penser à l’action. Nous n’avons pas le temps de trouver des circonstances atténuantes à accorder. Je vous invite donc à prendre exemple sur le couple Bonobos, ces coquins nous montrent le chemin : réglons nos conflits par l’amour et non par la haine, par l’union et non par la peine ! Certes il y a des différences entre nous. Excusez si je vexe mais, bêtes de somme ou bête de sexe, nous sommes tous des bêtes, en somme. Et il est l’heure de montrer notre valeur ! Je connais votre état d’esprit, c’est peu ou prou le même pour tous les partis. Nous sommes tous agités, fatigués par cette rude soirée. Je propose donc, puisque nous sommes ici en couples assemblés, que nous nous laissions aller à quelques instants d’intimité et que nous profitions d’un peu de douceur pour nous retrouver et évacuer vers l’extérieur les tensions qui nous rongent de l’intérieur. Sortez vos atours, faisons l’amour en l’honneur de ce bon jour ! Qu’il reste à jamais gravé dans la roche de Terre comme celui qui vit renaître l’entente animale entre sauvages et traîtres. Celui aussi qui, je l’espère, nous verra sauvés d’Homme et de ses éclairs de génie d’enfer. A vos partenaires, prêts, partez !

Beaucoup l’auront écouté commencer son discours avec regret : alors qu’ils allaient enfin pouvoir en venir aux mains, voilà que le festin prenait fin… Mais avec sa méthode démago, par ces simples mots imagés, sa métaphore filée, il aura su les empêcher de tomber dans le précipice du vice et les inciter à signer l’armistice. Et quel bel armistice en vérité !
On pourrait s’indigner de voir soudain cette solennelle assemblée se transformer en bordel généralisé. Certes, ça pourra passer pour un manque de respect, mais il ne faudra pas s’arrêter au premier aspect. Ce sera leur première occasion de se distraire dans cette affaire, alors personne ne se fera prier pour copuler. C’est qu’ils auront bien besoin de douceur, tous ces acteurs ! Par ailleurs, qui ignore que l’amour adoucit les mœurs et radoucit les cœurs ? Et un refrain commun leur traversera l’esprit : « Après tout, oui, c’est la vie ! Profitons-en, si on n’est là que pour un court moment : tirer sa crampe revient à botter le cul de la mort en chantant ! » Et Cerf se fera déjà une joie de lui faire la nique d’une ruade magnifique et rien qu’à cette idée, son brame rauque aura un air baroque de musique classique.s

La scène obscène qui suivra dépassera évidemment toutes les autres en intensité et en originalité. Car un voyeur eût été tout bonheur, tout à son aise dans cette fournaise où tout le monde s’en donnera à cœur joie dans la baise ! Les corps en effort ajouteront forcément quelques degrés encore à la température du décor.

Baleine Bleue, le plus grand des habitants, sera aussi celui qui prenait le plus grand emplacement, au grand désarroi de Plancton, son nain de voisin, qui devra se serrer les coudes pour donner des coups de reins tout en évitant d’être aspiré dans la bouche béante de cette géante de cétacé. Baleine mâle, lui, aura pas mal de veine : d’une part, il pourra régler sa flottaison grâce à sa poche à spermaceti, ce qui lui assurera en permanence une position optimale et d’autre part, n’ayant pas là de concurrence pour séduire sa reine favorite et assurer sa descendance, il n’aura pas à se soucier d’y passer le dernier avec sa queue hors-norme et son énorme quantité de sperme afin de purger les semences précédemment laissées.

Vérifiant étonnamment bien les propos de Lion et le bien-fondé des habitudes Bonobos, la météo se retrouvera fixé au beau et l’atmosphère se fera petit à petit plus légère. Tout sera dit et fait sans détours et la gaieté sera rapidement de retour, comme si tout était oublié. L’osmose virera même à la symbiose, comme si tous étaient soudain liés comme Raie et Rémora, comme si la seule certitude contre les vicissitudes de la vie résidait dans l’essentielle interdépendance, contre les différences et les divergences. Une vague d’amour irrésistible les aura saisi par surprise et sans retour possible : envers et contre tout, cette ferme prise les emportera tous, fermant la porte à tout revirement de quelque sorte.
Révélateur de cette bonne humeur, Esturgeon, qui, après la chose, n’était pas du genre morose et plutôt pro de la prose, s’écriera de tout son cœur, tout en sueur :

- Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette soirée aura été torride, et dans tous les sens du terme !

Comme attendu, ce bide ne laissera pas place à un vide et, saisissant la perche caviar tendue par Esturgeon, Poisson Clown ne pourra s’empêcher de railler :

- Vous parlez d’une soirée sympathique… Figurez-vous que j’ai failli me faire assommer par Baleine quand il a sorti son automatique… Je croyais qu’on faisait ça à des fins pacifiques ?

Pendant qu’il pouffera comme un môme, sa victime rira jaune. Vexée mais pas du genre à rétorquer, Baleine glissera ces quelques mots banaux avant de disparaître sous l’eau :

- Ah, c’est assez ! J’ai le dos fin… Je me cache à l’eau.

Et comme un seul animal, toute l’assemblée, des premiers rangs jusqu’à ceux du fond, entrera en fusion, simplement avec l’impression d’avoir choisi la bonne solution. Cet événement entrera bien évidemment dans les annales de l’histoire animale. Dans l’ultime bastion de la rébellion sur Terre aura trouvé refuge le seul et unique subterfuge à la crise de nerf : la biodiversité une et entière, moins une.
Ce gala aura sonné le glas de ce procès, procès qu’Homme aura perdu haut la main bien que Chien ait fait son maximum. Mais peut-on vraiment s’attendre à autre chose qu’un si bas préjudice avec un avocat commis d’office ? Celui-ci n’aura pas vaincu, car pas assez convaincu. Et en compagnie de ses suivants, il sera rentré dans le rang.

C’est alors que Rebelle Lion, grognon, finissant sa besogne à l’instant suite à un léger contretemps, poussera un râle colossal, signal que l’unanimité régnait au sein du règne animal. L’acoustique aidant, cet appel officiel et retentissant au secours se propagera dans toutes les directions aux alentours.

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