tag:blogger.com,1999:blog-16398236048850696082023-06-20T06:08:35.901-07:00Rebelle LionFable écolo, où les héros, des animaux, sont réunis pour juger ce salaud d'Hommetibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.comBlogger15125tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-71571494107602551362007-02-28T17:33:00.000-08:002007-05-01T16:26:02.172-07:00Chapitre 1 : Planter de décor, d’accord ?<div style="text-align: justify; font-family: arial;"><br /> C’est sous d’australes latitudes, par une soirée plus chaude que d’habitude, que se déroulera la plus incroyable scène que le monde ait jamais connu, et pas non plus la moins ridicule, et ça lors d’un été qui aura une fois encore battu des records de canicule.<br /><br />Un haut plateau entouré de falaises à pic comme des remparts et au beau milieu duquel coulera une large rivière semblant sortie de nulle part, sera le lieu où se jouera l’avenir de Terre et celui de tous ses locataires. Il ressemblera fort au point culminant du Tibesti, l’inouï sommet de l’Emi Koussi, cet effrayant cratère africain de dix mille hectares de superficie qui pointe son nez à trois mille quatre cent quinze mètres en l’air, forme une vaste cuvette de terre telle une ellipse et éclipse tous les volcans environnants. Comique coïncidence à la symbolique non sans incidence sur l’ambiance : un climat volcanique accablera justement les lieux de sa chape de feu. A l’heure de cet événement si grave, un soleil suave, se couchant en rougeoyant, inondera l’endroit d’une impalpable lave. Un rocher plat surplombant ce parterre fera office d’estrade dans ce semblant de stade et donnera à l’aire rougeâtre l’air d’un gigantesque amphithéâtre.<br />Avec la puissance et la pureté des rayons solaires, les murs de grès clair auront emmagasiné de la luminosité et dans l’obscurité naissante, ils joueront les écrans géants, leur lisse pente éclairant le néant tel un néon. Alors même que le jour perdra de sa brillante allure, la température ambiante restera brûlante. Comme un écho au ballet du sirocco, le vent passera le balai dans ce palais, depuis le sol jusqu’aux plus hauts rocs, faisant plier les herbes et frémir les rares arbres de cette déserte nature, auxquels feront défaut leur verte ramure. Ce courant d’air apportera un brin d’aise dans cette fournaise.<br /><br />L’aridité du terrain ira curieusement jusqu’aux rives de ce fleuve peu affable, car ses eaux ne voudront plus pénétrer cette surface devenue imperméable. Pied de nez à l’éternel combat entre l’eau et la roche, ce jumeau d’Okavango glissera impassiblement sur ce toboggan sorti de sa poche. Depuis longtemps il aura remporté une victoire bien illusoire et cessé de donner à cette terre burinée les gouttes de vie dont auront bien besoin toutes les espèces végétales autour de lui. En ces temps avancés, l’eau sera devenue un met aussi rare qu’elle est précieuse et âgée, de sorte que fleuves, rivières et ruisseaux dédaigneront à la partager. « Chacun sa foi, chacun sa loi, mais surtout chacun pour soi ! » est la règle d’or quand on possède un pareil trésor. Aussi invraisemblable que cela pourra sembler en ces temps de sécheresse durable, sa source semblera intarissable. Continuellement indifférent, ce gros cours d’eau suivra son cours jusqu’à la mer, alors à quelques encablures de là, puisque dans cet amer futur-là, les continents se seront réduits sous la pression d’océans incontinents. En effet, les banquises des pôles ne seront plus dignes de porter leur nom : à vue d’œil, la glace aura fondue sous un soleil de plomb comme dans un verre d’eau chaude un glaçon. Les marées basses auront disparu et aux marées hautes succèderont inexorablement des marées encore plus hautes.<br /><br />Et l’histoire controversée de ce lieu donnera à cette histoire mythique son caractère mystique. A l’instar du Cedar Berg, il avait autrefois été une forêt florissante et, comme c’est bizarre, une même main, inconsciente de son chemin, avait ruiné cette riche vallée au point de faire de cette merveille éphémère un paysage ruiniforme et lunaire. Le piton rocheux y sera la règle et la végétation l’exception. De la si vivante lande d’antan ne restera plus qu’un navrant no man’s land. Ainsi qu’un souvenir hantant les mémoires et inspirant les histoires.<br />Mais s’il avait été par le passé, à son summum, un somptueux arboretum, il n’en restera pas moins un magnifique point de vue offert au regard, même quand, dégarni par la violation, son aspect aura subi une radicale transformation. Ce contraste insaisissable et la rencontre des quatre éléments terre, eau, feu et air en ce lieu quasi-clos donnera à notre tableau une beauté venue d’ailleurs. D’ailleurs c’est un signe que quelle que soit son allure, la beauté de la nature se retrouve partout et toujours, d’un extrême à l’autre, dans mon œil ou dans le vôtre.<br /><br />A mi-chemin entre éden pour la vue et enfer pour la vie, le lieu de notre affaire sera un juste reflet de la situation régnant sur Terre. Car c’est à un cataclysme hors de maîtrise qu’elle sera confrontée, comme tous les êtres vivants y habitant. Non pas ce genre de cataclysme soudain et bref, du style séisme, mais une catastrophe au contraire lente et cruelle, et qui n’aura rien de naturelle. Le mal le plus symptomatique qui, en toute logique, aurait dû être cause de panique, sera un changement du système climatique. On sait du climat qu’il est cyclique, voire, des fois, colérique. Mais cette fois, la colère se sera faite trop régulière pour qu’il n’y ait pas quelque chose de pervers là-derrière…<br />La brutalité et les causes de ce bouleversement ne laisseront rien augurer de bon à Gaïa, l’esprit créateur, et à Terre, son chef d’œuvre planétaire. Les précédents chocs de grande ampleur auront été dus à des éléments extérieurs, comme la météorite qui jadis avait mis Terre KO en la percutant avec trop de vigueur et entraîné un chaos synonyme de mort, cet uppercut précipitant la disparition des dinosaures. Cette fois-ci, le souci sera sans commun rapport, fruit pourri de l’intérieur par un ver de Terre de malheur. C’est dans son propre intestin, en son sein même, qu’agira la main attisant la hantise du jour sans lendemain.<br /><br />Oh ! Ce glissement chaleureux n’aura pas été du genre tapageur. Tel un reptile, il aura avancé masqué mais d’un pas assuré, il aura rassuré pour mieux tromper. Ainsi, la température aura perdu en stabilité du fait de l’activité terrestre et augmenté de quelques degrés par siècle. Cela aura semblé somme toute tout à fait négligeable aux habitants d’alors, voire même agréable pour certains cadors. Sous-estimant le danger, ils n’auront pas réagi à temps et pris les mesures s’imposant. Voilà l’os : cette hausse est comparable à celle qui, quelques quinze mille ans auparavant, avait fait passer Terre du dernier âge glaciaire au climat tempéré qui lui a succédé… « Petits faits, grands effets » dit la maxime : ces changements de températures d’envergure apparemment minime auront tout de même été d’une violence extrême pour Terre comme pour Gaïa, l’esprit créateur, et cela malgré leur résistance téméraire. Main dans la main, toutes deux souffriront en même temps des mêmes maux et ce réchauffement aura déjà fait chez les humains comme chez les animaux des millions de morts au bas mot ! Dérèglement irréversible dû à trop d’errements ou à un manque de règlement, le fait est que la planète n’aura plus la même santé ni le même rendement.<br /><br />Pour rendre compte chronologiquement du contexte, c’est petit à petit qu’une trop forte concentration de gaz à effet de serre aura provoqué une augmentation de la température moyenne sur Terre, une dilatation des eaux de surface des mers, ainsi qu’une lente fonte de la glace dans les zones polaires. Estropiées, les forêts n’auront pu recycler toutes ces horreurs en vapeur et se trouveront asphyxiées. Dans le même temps, la fonte des glaciers réduira leur pouvoir rafraîchissant, et ils pourront à peine contenir l’inexorable hausse de la température moyenne. Insidieusement, l’eau des océans se sera refroidie en même temps que son niveau se sera élevé. Premier effet « Sea’s cool » : le mécanisme des courants maritimes, régulant le climat comme le Gulf Stream, aura tourné maboul. Deuxième méfait, l’eau se sera précipitée avec sa clique liquide à l’intérieur des terres, sous les yeux livides des habitants des régions côtières. Ces changements rampants auront surpris tout leur monde quand les mauvaises ondes et leurs effets particulièrement violents auront été appréciés à leur juste valeur par les locataires de Terre : raz de marée, tsunamis, ouragans, blizzards et autres sécheresses d’une gravité sans précédents auront été autant de fléaux frappant sans distinction la créature pécheresse et les innocents... Chaque être vivant de chaque région aura eu à souffrir de ces bouleversements et catastrophes à répétition, apostrophé par tant d’exhibition. Ainsi en va-t-il en général : on n’observe un changement avec les yeux et la bouche grands ouverts que lorsque ses conséquences touchent jusque dans la chair.<br /><br />Le climat qui, dans le temps, avait été tout raison et tout équilibre ne sera plus que déséquilibre et déraison. Au fil des années, les zones climatiques propres aux écosystèmes, auront été poussées à l’extrême, perdant en cohérence et en diversité sous la violence de l’adversité. Et désormais, ce sera un climat quasi bi-forme qui régnera sur ce monde déformé. Les conditions qu’il offrira oscilleront tantôt vers le brûlant, tantôt vers le glacial, de sorte que Terre aura l’air d’un malade pris d’une fièvre, soufflant le chaud et le froid, mais plus le tiède.<br /><br />Ce temps terrible sera le mal le plus tangible affectant Terre, mais cela ne sera pas le seul pour autant, et nombre seront indicibles car encore invisibles. Sera-t-il encore possible de faire marche arrière, ou, à défaut, de stopper l’hémorragie de Terre et d’éviter la contagion d’autres régions d’Univers ?</div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-13381100356892535192007-02-28T14:08:00.000-08:002007-05-02T07:14:49.400-07:00Chapitre 2 : Rencontre au sommet<div style="text-align: justify;"><br /> Le décor est planté. C’est donc ce paysage panoramique, à la fois chaotique et grandiose, qui sera la scène de cette pièce de théâtre, qui aura une très nette importance pour notre planète et qui verra l’apothéose d’un roi ainsi que celle de Gaïa.<br /><br />En ce jour extraordinaire et fantastique, ce lieu n’aura plus rien d’ordinairement fantomatique, puisque s’y trouvera réunie une assemblée aussi éclectique qu’elle sera diplomatique. En effet, toutes les espèces animales peuplant Terre, de Fourmi Rouge, lilliputienne terrienne, à Baleine Bleue, Gulliver des mers, en passant par Cacatoès Blanc à Huppe Jaune, punk des airs, s’y seront donné un rendez-vous complètement fou. Elles auront chacune envoyé deux représentants, mâle et femelle s‘entend, sans enfant évidemment. Certaines espèces hermaphrodites feront cependant exception en ce mois d’août et se seront décidées à faire leur coming-out en se rendant à cette cérémonie inédite et sensationnelle en paire résolument bisexuelle. Chaque acteur aura une place réservée spécifique à ses particularités : la plaine d’herbe séchée sera la chaise de paille des terriens multipèdes, cul-de jatte et de leurs ouailles, le ciel un siège et une table confortables pour ceux qui auront des ailes et l’eau aigre-douce et doucement salée de la rivière le fauteuil des marins d’eau douce et d’eau de mer.<br />Un air de jamais vu ? Perdu ! Jadis, dans des circonstances dont la ressemblance laisserait presque penser à un remake, deux individus de chacune des espèces avaient aussi étés réunis par un mec, Noé, puis, pour échapper au Déluge, avaient trouvé refuge dans une arche juste avant que les nuages ne se fâchent.<br /><br />Mus par un appel au pèlerinage, ils arriveront donc petit à petit, en nage. Brebis, pas, aura trouvé le moyen de se perdre en chemin, mais par chance, elle avait fini en compagnie de la paire Bison, tous deux très affûtés et qui n’avait pas perdu leur sens de l’orientation. Pour tous, la sainte route vers cette tente imaginaire aura été longue et éreintante mais également l’occasion de rencontres aussi insolites que bruyantes. Aussi, nombre auront été étonnés, qui de faire un bout de chemin avec couple Okapi, qui de partager son vol avec Papillon ou qui encore de suivre Hippocampe dans son sillon. D’autant qu’ils auront été pénétrés à l’insu de leur plein gré par une force inverse à celle de Babel, apportant avec elle à chacun une voix nouvelle, intelligible de son voisin, et à tous l’atout du langage commun. Tous seront donc sous le choc des questions qui dans leurs têtes s’entrechoqueront. Pourquoi donc cette mutuelle compréhension, qui ouvrait pour de bon la porte à de belles discussions ? Qu’était-ce que ce prodige ? On n’avait pas vu ça depuis des piges ! Et puis, comment expliquer cette convergence générale du monde animal, nullement concertée de la part des concernés, vers ce lieu unicolore dont ils ignoraient tout il y a peu encore ? La foule, intriguée, sera parcourue d’un murmure aux multiples sonorités… Mais pas de caquètements, ni d’hululements, aucun roucoulement, pas plus de piaillements, et pour cause : inexplicablement, le chant des oiseaux sera aux abonnés absents et, pour s’exprimer, ils n’auront que les mots de cet espéranto.<br /><br />Sur le rocher se tiendra, droit comme un i et plus fier qu’Artaban et tous ses compagnons réunis, le roi des animaux : Lion. A ses côtés et veillant sur lui, reine Lionne contemplera, pleine d’admiration, sa crinière par le vent auréolée et que tout un chacun lui aura de tout temps envié. Celle-là même qui, dans le miroir, était le signe ostentatoire de son statut notoire : un monarque aux remarques réputées incantatoires.<br />Lion semblera absorbé par l’observation de cet orchestre, de cet échantillon hâtif, mais à première vue exhaustif, de la faune terrestre. Dans son rôle de héros de ce conte et de grand commissaire, il effectuera des comptes d’apothicaire. Arrêtant successivement son regard sur les présents, il tentera de faire un rapide bilan des traînards et des absents. Devant l’ampleur de la tâche à laquelle il fallait qu’il s’attèle, il considérera plus approprié de procéder à un appel.<br />D’une voix la plus forte et la plus distincte possible, mais qui ne sera pas encore très audible, il commencera par ordre alphabétique son énumération zoologique :<br /><br />- Abeilles ?<br />- Prézzzentes ! zézaieront les deux hyménoptères.<br />- Ablettes ?<br />- Présentes ! articulera le couple de poissons.<br />- Actinies ?<br />- Présentes ! balbutieront en cœur les anémones de mer.<br />- Addax ?<br />- Présents ! répondra le duo d’antilopes.<br /><br />C’est connu, quelque soit l’âge, un appel est synonyme de remue-ménage, mais là, c’est carrément dans un cirque pas possible que Lion devra procéder à cette terrible mais si classique obligation. Et quel cirque dans ce décor de fou qui, de par ses caractéristiques géologiques, constituait déjà un chapiteau idyllique ! Il suffit d’imaginer des millions d’êtres vivants, de toutes tailles et de toutes formes, rassemblés en dominos et dominés par Lion et Lionne, une inimaginable ménagerie à faire pâlir un Bouglione et saliver un directeur de zoo, répondant par paire à l’appel de leur nom par un « Présents ! » aux sonorités variables selon les animaux. Un véritable carnaval à en juger par le masque de Mandrill, qui sera l’attraction principale, celle qui déliera les langues autrefois stériles, celle qui rendra volubile.<br />Cela sera d’ailleurs l’occasion pour toute l’assemblée de se distraire et de se détendre après une route qui n’aura pas été des plus courtes ni des plus tendres. Il est vrai que les voix de certains seront particulièrement désopilantes et les boute-en-train ne manqueront pas d’entrain, c’est certain. A commencer par Poisson-Clown, qui vivait bien à l’abri dans les tentacules urticantes d’Anémone, avait fait route avec elle et qui ne pourra contenir un éclat de rire en entendant son hôte onduleuse répondre à l’appel de son nom dans une mélopée bulleuse. Par sa ronde attitrée, il entamera un numéro de pitre dans l’espoir d’attirer les regards sur ses couleurs flamboyantes, ce en quoi il réchauffera les rires et ouvrira la voie à tous les éclats de voix.<br />Prenant son mal en patience, Lion ne se trouvera point déconcerté par ce tumulte environnant et continuera une lecture qui sera pour lui d’un lassant… L’acoustique des lieux sera telle que, sans porte-voix, sa voix portera jusqu’à tous, et c’est tant mieux.<br /><br />Alors que son calvaire touchera à sa fin, vers la lettre vingt, des acclamations viendront soudain interrompre Lion, atterré : c’était les derniers retardataires. Fidèle à ses habitudes, couple Tortue arrivera seulement, après une longue transhumance, accueilli sous les vivats pour sa meilleure performance de l’année : un temps, soit peu de retard pour ces traînards invétérés ! Certains les traiteront d’immatures, mais cela leur vaudra malgré tout l’admiration générale pour avoir ainsi su forcer leur nature.<br /><br />L’appel fini, force sera de constater que seule une paire d’êtres résidents de Terre était absente, un couple qui n’aura ni battu sa coulpe ni même prévenu de sa non-venue. Et cette absence remarquée fera rapidement railler les mauvaises langues et pleuvoir, malheureusement pour ceux qui auraient aimé boire, uniquement les quolibets.<br />Coupant court à ces bêtises de bêtes, Lion s’adressera d’une voix forte et bourrue à tous ces individus, qui, en l’entendant, se seront tus instantanément :<br /><br />- Sœurs et frères, venus des quatre coins de Terre, vous avez, comme moi, répondu à l’appel de votre instinct, qui vous a soudain mis en chemin. Comme moi, comme eux, vous ignorez pourquoi tous les oiseaux se sont brusquement arrêtés de chanter, mais en tout cas, c’est ce qui nous a poussé là. Cet événement sans précédent, qui a déclenché ce gigantesque mouvement, est aussi important que désolant ! Car ne plus entendre ces vertébrés volants se laisser aller à leur penchant préféré, ce chant qu’ils affectionnent tant et qui rythme nos journées, fut pour nous tous déroutant. Vous aussi avez résolument suivi vos pas jusqu’ici, répondant à une force fort résolue autant qu’inconnue. Et puis, vous avez tout comme moi découvert aujourd’hui que vous parliez cette langue arrivée incognito, sans avoir eu besoin de l’apprendre, cet espéranto qui nous permet de nous parler et de nous comprendre. A quoi bon une explication ? Tout ça restera sûrement pour nous tous et à jamais un paradigme sans nom et une énigme sans solution. Par contre vous devez avoir deviné ce qui nous a amené en ce lieu damné. Au vu du caractère vraiment exceptionnel de ce panel, vous vous douter qu’il s’agit de débattre ici d’un sujet essentiel. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il en va de l’avenir de notre lieu de vie et du danger que représente Homme pour celui-ci. Il n’est pas ici présent, c’est donc qu’il a refusé d’entendre cet appel lancé à tous les habitants de notre chère Terre : il ne sera donc pas là pour défendre ses pairs, celui qui aurait de toute manière été persona non grata. Tant pis pour lui, car c’est aujourd’hui le jour de son premier procès, de son vrai procès !<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-48945416057373525412007-02-28T07:16:00.000-08:002007-05-02T07:16:45.717-07:00Chapitre 3 : Le vrai procès<div style="text-align: justify;"> - S’il suffisait d’un syllogisme pour prouver sa culpabilité et pour clasher l’inculpé, je dirais : « L’accusé est absent. Comme Homme aime à le dire lui-même, les absents ont toujours tort. Donc l’accusé a tort, or, et c’est là que c’est fort, un accusé qui a tort est forcément coupable. » La chute de cette figure de style, c’est qu’il est coupable, car les faits l’accablent en dépit de sa mauvaise foi palpable ! De toute façon dans cette histoire c’est toujours lui qui s’enfuit, qui s’en fout, qui s’en moque, entraîné comme un fou dans son amok. Le réquisitoire sera donc sans équivoque !<br /><br />Lion fera une pause, car sa voix et ses cordes vocales ne seront pas habituées à un taux d’utilisation si élevé. « Pourvu que mon asthmatique ne s’enroue pas, cela nuirait à la qualité de sa rhétorique » pensera sa moitié, sceptique. « Je n’en reviens pas d’entendre dans ma gueule ce langage si aisé à utiliser. Quel ravissement déconcertant de facilité ! » songera Lion de son côté. Les mots lui viendront en effet à la bouche comme une évidence, comme si, en bon comédien, il avait tout répété à l’avance. Un animal qui parle par rime en abondance, qui danse avec les assonances, rythmant ainsi ses sentences, ça peut paraître un crime à l’encontre du bon sens. Mais cela s’expliquera par le fait que des cordes vocales si inadaptées ne pourront enchaîner une grande diversité de sons, contraignant par là même la diction. Il sera satisfait de son début de discours ainsi que de son souffle, que sa moqueuse de souffleuse disait court.<br /><br />A ce moment-là se fera entendre le son de voix du poil à gratter et cadet de l’assemblée, Hérisson. Malgré son jeune âge, il sera déjà d’une impertinence sans égale, peut-être en raison de son acéré blindage. Il n’aura pas son pareil pour être pointilleux quand les circonstances l’exigeaient le plus, ce sac à puce !<br />Ainsi interviendra ce trublion d’Hérisson :<br /><br />- Minute Papy Lion ! Juste une rectification qui va te laisser coi : au syllogisme, on peut faire dire tout et n’importe quoi ! Homme le démontre d’ailleurs fort bien par cette contradiction : « Ce qui est rare est cher. Un cheval borgne est rare donc un cheval borgne est cher. » On ne peut s’appuyer sur un mode de raisonnement biaisé pour un tel procès, ce serait bien aisé… Un peu de sérieux, tu veux ? Nous autres, animaux, avons une parfaite expérience de l’injustice mais guère de connaissances en matière de justice... Nous avons bien nos règles, nos lois, mais la différence d’une espèce à l’autre est épaisse. Mettons-nous donc à table, mais de manière éthique et équitable. C’est à ma connaissance la première instance de prud’homme qui ne soit pas organisée par Homme. Et pour sa première, ce tribunal animal doit traiter de l’affaire qui fait le plus mal.<br /><br />Lion, ironique dans le ton, acquiescera, amusé par le dicton :<br /><br />- T’as raison, Hérisson ! Merci pour ta grandissime intervention, mais mon syllogisme était une image non du premier degré, mais du second. Non ce procès ne sera pas du bluff, non nous ne mettrons pas la charrue avant les bœufs ! Je suis chargé d’y veiller. Grâce à toi, sois-en remercié, nous sommes prévenus et nous montrerons circonspects devant des faits si ardus.<br /><br />Là-dessus Kangourou, qui n’aura pas non plus la langue dans sa poche, interviendra à son tour en sautillant au dessus de ses proches. L’immense assemblée aurait intimidé plus d’un animal, mais c’était mal connaître le marsupial :<br /><br />- Je saute sur l’occasion que m’offre Hérisson pour m’insurger contre certains mauvais esprits qui essayent d’infliger à Papillon la responsabilité de cette sécheresse à désespérer. J’ai entendu des théories inouïes, des perles, lesquelles arguent que son battement d’aile est responsable de ces changements climatiques notables. C’est un des pires ragots que j’ai entendu sur le trajet, qui m’a fait bondir et contre lequel je m’inscris en faux ! J’espère qu’on n’a pas fait tout ce chemin pour rien, toute cette route pour entendre des stupidités navrantes et des culpabilités aberrantes. Non mais ! Avec tant de cynisme, bientôt on mettra les séismes sur mon dos et leur épicentre au niveau de mes sauts !<br /><br />Un brin désespéré, pressé de voir le procès commencer, celui qui le présidait laissera tomber :<br /><br />- Voyons, voyons… Que peut-on reprocher à Papillon, dont l’allure est si superbe et si pure ? Son corps d’athlète et sa beauté feraient-ils des envieux chez les vieux et les têtes de nœud ? Je ne saurais trop vous conseiller de mettre de coté vos jalousies et vos rancœurs. Cela me tient à cœur ! Clichés, clashes et lutte entre les races n’ont pas leur place dans ce palais. Evitons les invectives, que la discussion soit constructive ! Vous saurez vous montrer dignes de votre rang de jurés, hein, c’est juré ?<br /><br />Il demandera cela pour la forme et pour la prouesse lyrique, car il saura d’ores et déjà que ce délire de promesse sera difficile à tenir. Et qu’il serait le premier à tomber dans l’excès. Un peu alarmantes, les deux interruptions précédentes ne laisseront rien augurer de bon à Lion. Ou plutôt, cela donnera une bonne idée du ton sur lequel allait se dérouler cette réunion : ça risquait d’être bonbon. Mais ce ne sera que raison tant le nombre et la pression de l’union ont raison. L’idéal pour empêcher toute velléité de pointer son nez résidera selon lui dans le monopole de la parole et cela s’annoncera très compliqué en compagnie de tels freluquets…<br />Il contemplera cette assistance qui l’écoutait, aux aguets, et ne pourra que s’émerveiller devant la découverte de ce nouvel et basique instinct de sophiste, qui ressemblait à une musique sophistiquée, une sorte de liste à réciter. Il poursuivra :<br /><br />- Meute de Terre, tu es aujourd’hui l’ambassadrice de tes congénères. Nous sommes tous ici au nom de Terre rassemblés et cela suffit à donner à ce procès son entière légitimité. Je n’irais pas par quatre chemins, car tous mènent à un réquisitoire à sens unique, à cette alerte : si nous laissons aujourd’hui Homme continuer son oeuvre maléfique, nous courons à notre perte. Gaïa crèvera de remords en voyant Terre toute entière transformée en cimetière de la mort, en enfer dépravé et nous perdrons notre moyen de transport interstellaire en même temps que notre brave mère. Après avoir longtemps été classées sans suite, c’est aujourd’hui enfin que les poursuites contre lui aboutissent et ce palais de justice est le lieu propice pour enfin empêcher qu’il sévisse, pour mettre fin à ses vices et sévices.<br /><br />La clique animale approuvera dans un brouhaha fait de chants ultra-sonores, de cliquetis de mandibules, de beuglements de mules, d’hennissements, de barrissements et autres grognements de tous bords… Cette masse sonore aura des relents sourds de désamour, de haine intense et de vaines espérances de vengeance. Ils partageront son avis ainsi que ses rêves inassouvis.<br />Il aura fait l’unanimité, et cela n’aura été une tâche ni trop dure, ni trop rude, même plutôt pépère, bref une mince affaire. Au vu de la situation et de la diversité des conceptions propre à la biodiversité, ce sera une belle réussite que ce plébiscite, qui plus est acquis de manière licite.<br />Il rugira pour couvrir la cacophonie autour de lui :<br /><br />- Ecoutez-moi ! Le temps nous est compté et nous pouvons déjà compter terminer tard ; pour faire les choses dans les règles de l’art, nous nous taperons les étapes réglementaires sans prendre à la légère ce procès à part. Pour ma part, je vais laisser la place à ma bonne Lionne, qui va vous exposer les faits avec un peu plus de fair-play.<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-91157920392487851062007-02-28T06:01:00.000-08:002007-05-02T07:29:20.306-07:00Chapitre 4 : L'exposé des faits<div style="text-align: justify;">Jusqu’alors en retrait, profitant de l’ombre apaisante fournie par son mari, Baby Lionne foulera le sol poussiéreux pour s’avancer sur le socle rocheux et dominer la foule. Elle sera surnommée ainsi en raison de son visage poupin, de la douceur de son pelage et de son crin. Mais là, ses traits d’une merveilleuse finesse féline, auront une dureté insoupçonnable chez une femelle d’habitude si calme et câline.<br />Prenant timidement la parole, elle entrera dans son rôle :<br /><br />- Je vous prierais de m’excuser pour les lieux communs par lesquels je vais passer, mais il convient que le problème soit bien posé, que les faits soient bien exposés et que tout soit empreint de netteté. Je commencerais par vous rappeler que Terre est composée de trois éléments : le minéral, le végétal et l’animal. En interaction entre elles, ces trois composantes notables sont en équilibre instable. La chaîne alimentaire en est la pierre angulaire. Ainsi le végétal se nourrit-il du minéral, l’animal herbivore du végétal et le carnivore de l’herbivore. La hiérarchie vaut aussi au sein de chaque niveau et Homme se trouve au sommet du schéma nommé.<br /><br />Et elle esquissera une grimace de dégoût devant cette flagrante faute de goût.<br /><br />- Mais je tiens à attirer votre attention sur le fait que par les facultés que la nature lui a octroyé, il est le cas le plus particulier et le plus irrégulier. Du pouce opposé à ses quatre autres doigts à son cerveau ultra-développé, il avait d’emblée toutes les cartes en main pour être le numéro un. C’est aujourd’hui un fait et sa suprématie sur notre planète est une nette réalité. En bref, on n’a pas inventé la poudre et ce foudre du feu l’a fait. Sa supériorité n’est pas ici l’objet de nos reproches mais c’est ce qu’il a fait de celle-ci qui l’est. Ainsi, s’il a su par le passé se développer sans porter atteinte à Terre, s’il a su remplir en solo la difficile astreinte de tirer les espèces de Terre vers le haut, rien aujourd’hui ne justifie plus son rôle de leader et l’on peut douter de la légitimité de son statut d’empereur. Vous savez comme moi que si les lois de Gaïa justifient une hiérarchie entre les espèces, elles condamnent cette espèce d’irrespect dont Homo No Sapiens Sapiens fait usage, preuve qu’il n’a plus rien de très très sage. Il n’a même plus la moindre attention ni le moindre amour pour sa mère, Terre. C’est un signe manifeste de la déliquescence et de l’obsolescence de cette société rance et empestée.<br /><br />Une voix s’abattra, tombant du ciel et mettant à jour un cœur tout plein de fiel :<br /><br />- C’est ça ! persiflera Alouette, qui aura un peu perdu la tête, son chant complètement, mais pas son côté chiant, ce d’autant qu’elle aura trouvé sa voix. L’obsolète, aux toilettes ! Sachons le dire et tirons la chasse, n’est-ce pas Lionne Baby Face ?<br /><br />Celle-ci ne relèvera pas, bien que cette affirmation osée rejoigne sa vision des choses et elle reviendra là ou elle en était restée, un peu chose :<br /><br />- Homme d’aujourd’hui semble avoir oublié d’où il vient et ignorer où il va, à savoir dans le mur, dans le trépas, et en nous emmenant tous en voiture ! Il n’a plus de culte pour la Pacha Mama, comme son ancêtre inca. Ignorant le proverbe indien, pourtant humain, qui dit que « Terre n’est pas un cadeau de tes parents, ce sont tes enfants qui te la prêtent », il se trouve dans une phase de dégénérescence qui l’amène à se détacher de la vérité et à accorder de plus en plus d’importance à des futilités qui nous mettent tous en danger. L’évolution technologique dont il a bénéficié ces derniers temps à nos dépends, associée à l’insouciance avec laquelle il malmène notre environnement font d’Homme la menace numéro un pour le bien-être commun. L’exemple le plus révélateur est sans doute celui du pétrole puisque, manque de bol, il a fait de ce combustible nuisible un synonyme de pactole. Et comme il ne fait rien dans la demi-mesure, cette matière fossile, Homme en consommait autant en un jour que ce que Terre mettait des milliers de jours à créer, vous voyez la subtilité… Cette source d’énergie non renouvelable et désormais épuisée, il l’a fait partir en fumée et au final c’est le climat qui est devenu insoutenable. C’est triste d’être ainsi carbonisé par cet hydrocarbure grâce auquel il carburait, cette ressource naturelle qui aurait du être autre chose qu’une source de querelles. Notre mère est malade et il est la graine qui ballade sa gangrène, le virus qui féconde notre monde. Est-il nécessaire de faire la liste de ses atteintes à Terre ? Personnellement, je n’en vois pas l’intérêt : les conditions climatiques chamboulées sont les signaux d’alarme qui mettent en lumière l’incendie allumé sur le bateau Terre. Ah si ! Il y a un autre élément à souligner, et qui nous concerne directement, c’est la sixième vague d’extinction d’espèces de l’histoire, cette hécatombe végétale et animale qui lui incombe, sans laquelle nous serions plus nombreux ce soir. Toutes les espèces sont aujourd’hui passagères de ce qui est devenu une galère. Nous jouerons donc d’abord les pompiers et Lion sera notre capitaine à bord. Mais ce sera une tâche de longue haleine et nous ne sommes pas au bout de nos peines ! Cette ignorance consciente des règles applicables à l’ensemble des habitants de Terre place Homme de l’autre côté de la barrière. Si je peux me permettre une allusion : à la place de Vache et Mouton, il est à son tour dans le champ…d’accusation. Voilà donc un très rapide résumé des faits : la seule conclusion à en tirer, c’est qu’il faut désormais arrêter le massacre, dénoncer son sacre, le remettre en question et se permettre, enfin, de le juger pour malversation.<br /><br />Alors que Lionne sera satisfaite de la présentation faite, c’est ce moment que choisira Carpe, qu’on croyait muette car dépourvue de luette, pour sortir d’un silence qui remontait au premier instant de son existence :<br /><br />- Ma reine, veuillez excuser mon ignorance, mais je ne sais quasiment rien des maux que vous n’évoquez ici qu’en substance et je ne suis qu’à grande peine votre démo. Il faut dire que je vis dans les bas-fonds et que je ne suis qu’exceptionnellement en contact avec un compagnon. Nous sommes certes parfois victimes d’Homme, hissés hors de notre planque par un hameçon flanqué d’une contrefaçon de maïs, mais cela reste une histoire de nourriture, dans les lois de la nature. Ainsi, nous ignorons presque tout des accusations auxquelles vous faites allusion.<br /><br />Comme un écho, d’autres protestations sortiront du lot bruyamment, émises par tous ceux qui, comme Carpe, vivaient dans l’isolement. Le premier d’entre eux, Bernard l’Ermite, laissera échapper de son pieu, du fond de sa guérite :<br /><br />- Moi non plus je ne sais rien de cela ! Afin de cacher mon ventre tout mou, tout repoussant, je vis reclus dans mon coquillage d’abri, en marge du monde moderne et de ses emmerdes, et je n’en sors que quand mon appartement s’avère trop petit pour déménager dans un plus grand. Le reste du monde ne m’intéresse pas le moins du monde. C’est à contrecœur que j’ai quitté mon tranquille Atlantique pour cette ville authentique, indésirable pour l’agoraphobe fort désagréable que je suis, et ce, malgré mes efforts. Autant dire que je tiens à ce que l’on fasse vite et bien !<br /><br />Lionne, qui commencera à en avoir assez, rassurera le crustacé :<br /><br />- Peinard, Bernard ! Puisque tous les présents ne semblent pas au courant, quelqu’un va se faire un plaisir de détailler l’ardoise que cette espèce narquoise laisse dans son sillon, génération après génération. Qui se porte volontaire pour faire l’inventaire de ces accusations ?<br /><br />Un silence de cathédrale tombera sur cet édifice de pierre et sur ce cérémonial animal, mettant alors en évidence qu’en ces moments intenses et forts, le silence est d’or. Sera-ce la timidité due à la foule si folle à laquelle il fallait s’adresser qui retiendra toute réponse même molle ? Pourtant, la plupart auront les mots à la bouche, mais elle leur semblera bouchée.<br /><br />- Voyons messieurs dames, mettez-vous à table, que diable ! La liste faite ne sera de toute manière pas complète, car la multitude de charges pesant sur la tête de cet être qui gamberge n’est que la partie émergée de l’iceberg. Mais qui m’aime se lance quand même !<br /><br />Cela dit, qui oserait relever ce défi qui consiste à faire l’état des lieux objectif de tous les abus de confiance et actes de malveillance, de l’ensemble des comportements criminels et déviants portés par Homme contre son bel environnement ? Sans compter les effets pervers encore ignorés ou en incubation qu’il convient d’ajouter à cette liste déjà difficile à énoncer. Devant un tel mur, avec si peu de prises, ils ne risquaient pas d’être au bout de leurs surprises. En l’air, on entendra voler Mouche, Taon et leurs frères diptères tant le calme sera plat dans cette assemblée réunie au nom de Gaïa. Affligés par la peine, figés par la haine et par la rage, ou n’osant pas dévoiler leur amour pour Lionne par peur de Lion, ces ambassadeurs n’auront pas le courage de répondre à leurs obligations.<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-8956075662372878122007-02-27T07:27:00.000-08:002007-05-02T07:30:02.419-07:00Chapitre 5 : Une histoire de réquisitoire<div style="text-align: justify;"> La voix puissante de Lion, brisant ce silence devenu insoutenable pour tous, fera se tourner vers lui toutes les têtes de cette assemblée qui regardait en l’air et se tournait les pouces. La violence qu’afficheront ses traits, à la base beaucoup plus marqués que ceux de Lionne, fera sursauter instantanément ces tonnes d’individus dans une gigantesque ola incongrue.<br />Dans un éclair de fulgurance, il coupera ce silence d’une immense éloquence, avec une voix noire laissant transparaître un certain désespoir :<br /><br />- Réponse pleine de sens que ce silence ! Quelle idée que de vouloir faire la liste des dégâts causés par ce parasite ; c’est une tâche sans limite et qui nous coûtera la vie si nous ne faisons pas au plus vite ! Devant l’urgence de la situation, l’énumération des charges sera donc rapidement envoyée, et ce, du côté de la décharge. Donc fissa et puis basta ! Ces accusations ne souffrent d’ailleurs d’aucune contestation. Les effets des méfaits d’Homme sont trop flagrants et trop graves. Les contester serait même vaillant et brave! Et puis quoi, nous avons assez souffert par le passé pour que cela ne souffre d’aucune contestation et que cela nous confère d’office le droit d’outrepasser les lois de la justice. Peu importe après tout si nous ne respectons pas de bout en bout le bon déroulement de ce procès tabou !<br /><br />Il pensera : « D’où vient ce si soudain revirement de mon jugement ? Après avoir prêché en faveur de la prudence, me voilà balançant à tous vents mes humeurs sans nuances… C’est à l’idée de cette liste que je me fais dualiste et que revient mon instinct manichéen. » Plus fort que l’esprit qui le visitait et guidait son comportement et ses répliques, son caractère bien trempé refera surface intempestivement, donnant plusieurs facettes à ce président pacifique comme un océan, avec tout ce que cela implique comme tempêtes et débordements. De toute façon, il ne sera pas à une contradiction près, Lion. Et précipitation et intransigeance annonceront la débâcle de ce procès bâclé par avance.<br /><br />- A défaut d’établir un cahier de doléances complet, je me contenterais donc de relater mon expérience propre, mon cas particulier, qu’il faudra bien généraliser étant donné que le vécu est peu ou prou le même pour tous et partout.<br /><br />A la seule pensée de ce camouflet à peine camouflé, la peine l’envahira pour rapidement retomber comme un soufflet, car, par dignité, il se ressaisira afin d’éviter de verser une foule de larmes devant une foule de sujets déjà bien alarmée. Il dira, comme pour se justifier :<br /><br />- Roi des animaux, c’est moi qui porte une partie de votre fardeau sur mon dos. Je supporte ceux qui souffrent et je m’essouffle à force de les retenir, de les empêcher de tomber dans le gouffre. La nature a fait de moi un être noble, une bonne pâte, c’est mon job que de tenir à bout de pattes le destin du monde et de venir à bout de ce procès immonde.<br /><br />Se voulant plus démagogique, son ton prendra soudain des teintes tragiques :<br /><br />- Ma vie résume l’ensemble des maux qu’il cause aux animaux. Ma génitrice fut trucidée par Homme, ce fils de Sodome ! Capturé bébé, à l’âge où la mère raille quand le père berce, je fus l’objet d’une de ses perverses trouvailles en matière de jeu et je servis d’appât vivant pour attirer maman dans un piège honteux. Le fruit de ses entrailles fut aussi la cause de ses funérailles, car, se refusant à m’abandonner, elle tomba, morte, sous les balles d’un amateur de sensations fortes. En rage, je la vis succomber de l’autre côté du grillage. Ayant réussi à m’échapper des griffes d’Homme, j’ai été persécuté et poursuivi tout le reste de mon mauvais bonhomme de vie. Et le coup de couteau de trop fut la vague de chaud, coup de grâce porté par cette race hors de portée, qui a récemment emporté deux de mes aïeux comme un grand nombre de nos vieux, partis en cohorte à cause de la canicule causée par ce cloporte, qui, indirectement aussi, nous encule ! <br /><br />De ces blessures encore sanguinolentes viendra la haine sanguine qu’il vouera à cette race aux sanglantes traces de pas. Le meurtre de sa mère aura été le catalyseur du mépris et de l’horreur que lui inspirait cet unique ennemi et qui avaient grandi en lui en même temps que lui. A ce souvenir, il se sentira à chaque fois bouillir d’ire et son vocabulaire se fera parfois vulgaire. Les auteurs de cette ignoble et maxi-ignominie auront sûrement été inspirés par le scénario d’un dessin animé humain, dans lequel vient un jour l’heure de l’orphelin. A ceci près que Scar, le lascar, et Hyène, son compère charognard, avaient là une apparence très humaine, de même que leur coup de Trafalgar. Comme Simba, Lion rêvera de vengeance contre cette engeance et croira fort en son destin, pourtant encore incertain.<br /><br />- Devant ce marabout gâcheur de vie de bout en bout et après ce court résumé qui en dit déjà long sur la gravité de ces faits qui dégoûtent et qui ne sont qu’un symptôme qui s’ajoute aux autres, je crois que la culpabilité d’Homme ne fait plus aucun doute. Ceci n’est qu’un banal exemple d’une anormale réalité qui, chaque jour, nous contemple.<br /><br />Le temps de se calmer, de récupérer de toute cette violence, Lion prendra pleinement conscience de la mission lui incombant. Il aura senti derrière son prosélytisme soudain une présence qui fera de lui, avec un favoritisme certain et sans qu’on lui ait demandé son avis, le déclencheur de la rébellion, le détonateur de la sécession. Car quoi, il aura beau être un leader, il n’empêche qu’il n’était pas sauveteur et sauver Terre ne comptera pas dans les flèches de son carquois. Cette nouvelle capacité à inciter, à indigner afin de fédérer, tout cela ne venait pas de lui, ne faisait partie ni de son inné, ni de ses acquis... Cela ne pouvait venir que d’une force peu commune, et il n’en connaissait qu’une. Ah ! Gaïa... Dans une volonté d’autoprotection et de lutte, elle avait trouvé en lui le terrain le plus favorable à la réalisation de son but, le terreau le plus arable où étaient enfouis les germes de la révolte et aussi celui qui allait donner la meilleure récolte.<br /><br />Il se sentira investi d’une mission venant d’un divin maintenant moins lointain. Quelle plus belle preuve en apparence qu’Homme avait raison de s’interroger sur l’existence d’une transcendance ? Lui qui avait toujours raillé Homme sur sa manie d’inventer des divinités et sa folie d’attendre qu’elles viennent le sauver… Il faut dire qu’il faut être fort culotté pour implorer une force supérieure tout en causant, à tort et à travers, du tort à sa création et en semant la mort à travers Terre. Il faut même être sincèrement malhonnête ou sacrément fou pour faire des courbettes infâmes quand on bafoue les droits de l’âme. Gaïa, au moins, on ne la priait point, on savait qu’elle était là, point. Nul besoin pour elle d’apparaître, il suffisait qu’on la respecte, elle, son œuvre, son chef d’œuvre. Il avait toujours eu un total respect pour Gaïa en tant qu’esprit originel et vital, comme l’ensemble du règne animal. Mais de là à ressentir quelque chose de pieux, de là à la considérer comme un dieu… De toute façon, il ne pouvait en être question puisqu’elle n’était pas source de perfection : atome par atome, elle avait créé Homme. Il la croyait fatiguée de son excès de créativité, impassible et immobile à jamais. Il la voyait incapable d’autre chose désormais que se reposer, peut-être résignée, lasse de voir ainsi les choses dégénérer. Il la pensait en récréation depuis sa première et dernière procréation, depuis ce mince temps T où elle avait enfanté de Terre, cette si belle création. Ne pouvant admettre le déraisonnable, il imaginait le monde des esprits et le monde terrestre imperméables et c’est ainsi qu’il expliquait cette inertie de Gaïa qui les laissait dans cette situation inextricable.<br />Pourtant, il lui faudra bien reconnaître que l’irrationnel pouvait être du domaine du réel. Car cette réunion hors du commun, ce langage commun et cette force qui les menaient dans Gaïa sait quelle direction, n’était-ce pas l’illustration même de la déraison ? Voilà qu’enfin Gaïa se réveillait et qu’elle allait se révéler ! Ces intuitions qui fleureront bon la vérité le bouleverseront. C’est par la grâce de Gaïa et grâce à son statut si particulier qu’allait venir le salut ! Et c’est lui qu’elle avait choisi comme messie. Lion, élu pour passer à l’action. Et quel bon son que son blason : Rebelle Lion.<br />Ces réflexions en solo l’auront saoulé. Las, il reprendra :<br /><br />- Assez parlé, c’est l’heure de la vengeance ! Moi, Rebelle Lion je vous invite à donner votre sentence ! Finalement, la culpabilité d’Homme est un axiome et il est grand temps de condamner l’humanité pour crime contre Terre entière. Jurés, arrêtons de lui lécher les pieds et les fesses, passons à l’urne, afin qu’il cesse de nous casser les burnes !<br /><br />Chacun s’apprêtera alors à voter à membre levé, ce qui ne sera pas aisé pour tous les invités. Tel un imbécile, tête levée vers le ciel, Okapi fera montre de sa longue langue protractile comme d’un index levé pour l’appel. Ceux qui auront leurs stratagèmes pour se manifester sans doigt auront déjà commencé à enseigner leur art aux ignares et aux maladroits. Pour ceux-là, quelle cata : Maki montrera à Kinkajou comment se servir de sa queue aussi protubérante qu’encombrante comme moyen d’expression. Utilisant le même instrument pour répondre à cette requête, Serpent à Sonnettes, lui, jouera des castagnettes. Bouquetin des Alpes, dont on pourra lire l’âge sur les cornes colorées, se préparera à brandir en l’air son effilé trophée, qui aura autant d’anneaux que d’années.<br /><br />Dans ce brouhaha, Lion alors énoncera, presque à contrecœur, une règle essentielle qu’il connaissait malheureusement par coeur :<br /><br />- Mais ne voulant pas lui retirer tous les droits découlant de sa terrienne citoyenneté, sa culpabilité devra être votée à l’unanimité. Allez, au taquet ! Même attaqués par ce toqué, nous devrons d’abord être tous ok à ce sujet, ce qui ne saurait être qu’une formalité.<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-41574729383992576622007-02-25T07:33:00.000-08:002007-05-02T07:14:02.436-07:00Chapitre 6 : Où l'on voit les traîtres apparaitre<div style="text-align: justify;"> L’unité sera totale, comme s’ils ne formaient qu’une seule entité animale. Les acquiescements fuseront sciemment, les approbations pleuvront bruyamment : le long flot fayot de ces paroles anormales en dira long sur le sentiment général. Un temps, on pourra croire que cet étrange sens qui les unissait par la langue s’étendait aussi à l’intelligence. Cette unité de points de vue fera un temps illusion et l’accord tacite semblera l’espace d’un instant acquis sans discussion.<br /><br />Mais petit à petit, défiant la pensée unique, certains sèmeront la panique. A contre-courant de cette rivière d’ « Il a raison ! » et de « Oui-Oui » bénis par Lion, un radeau contestataire d’ « Attendez... » et de « Pas si vite ! » ira en s’amplifiant, résistant à ce déferlement approbateur et remontera le courant pour finalement arriver aux oreilles du président. Il faut toujours un peu de temps à l’opposition pour se mettre en branle, avant qu’elle n’ébranle les positions.<br /><br />Ces protestations émaneront d’une frange infinitésimale de l’assemblée animale et plus précisément de ceux qui, dans leurs rapports et dans leurs activités, étaient les plus proches de l’inculpé. Il s’agira bien entendu des espèces qui vivaient à son contact, appelées domestiques par leur maître, mais que les autres êtres, sans aucun tact et de manière assez cynique, surnommaient traîtres.<br />Une voix aboiera, d’une acuité de castré. Tiens donc, elle viendra de Chien.<br /><br />- Gare au manque de discernement que sous-entend cet assentiment primaire, que sous-tend ce comportement grégaire. L’unanimité n’est pas chose acquise quoique tu en dises ! Lion, je prends la parole au nom de Vache, Cheval, Lapin, Pintade et de tous mes frères et sœurs de condition. Nous sommes tous, compagnons d’infortune, au service d’Homme, qui est ici l’objet de vos rancunes. Je sais que vous êtes nombreux à nous considérer comme des moins-que-rien, mais notre avis compte aussi bien !<br /><br />Surpris, Lion s’attardera sur le gâte-sauce, sur ses assoces et son regard aura quelque chose d’atroce. Muscles bandés, pose belliqueuse, il semblera un temps sur le point de bondir de la touche sur ce poids-mouche, comme un entraîneur mécontent d’un joueur. Il réprimera une irrépressible envie de faire goûter la force de sa patte à l’importun, ne jugeant pas le moment opportun. Chien était l’être que Lion pouvait le moins sentir, après le patron de l’empire, il va sans dire. Ce bougre de Chien, ayant juré fidélité à son cousin du bourg, chassait ses cousins sauvages affamés et en quête de ripaille tels que Renard, aux goûts pile pareils qu’Homme en matière de volaille. Chien était depuis longtemps devenu Loup pour Loup et pour tous les autres gars routiniers de ces coups. Et point de circonstances atténuantes à cette attitude surprenante ! Pour Lion, tout était question d’autodétermination. Il ne pourra concevoir que les serviteurs d’Homme se soient laissés ainsi asservir sans coup férir et que, depuis, ils se soient résignés ainsi à leur sort, vendant par-là même leur âme et leur corps.<br />Ces êtres à qui faisait défaut la fierté dans les yeux portaient sur eux la marque des traîtres, et il ne fallait pas être bien devin pour distinguer un sauvage d’un moins-que-rien. Assommer un de ces ectoplasmes eût donc été la réalisation d’un vieux fantasme… Mais contrairement aux apparences, Lion était un peu comme Lama, emprunt de philosophie zen et adepte de la non-violence. Se refuser à verser dans la violence, qui était pour lui le dernier refuge de l’incompétence, lui semblera aussi un moyen de ne pas céder à la facilité et de ne pas foutre en l’air le procès. Il était conscient de sa force physique, mais dans la bataille pour la vie et surtout pour la survie, il comptera s’en servir plutôt comme d’un joker que comme de la carte à jouer la première. Seulement, la présence de l’un de ses deux ennemis numéro un réveillait en lui son instinct le moins gentil. La perspective de la bagarre lui aura fait monter la salive à la bouche, mais il renoncera aussi à cracher à la gueule de Chien, ce qu’aurait fait Lama dans ce cas-là. Ç’aurait pourtant été à l’évidence la réponse rêvée à une telle impudence. Mais d’une salive d’appoint, il aurait encore besoin. C’en était trop et il se résoudra donc à tester ce microbe au micro.<br />Prenant la foule à témoin, Lion fera entendre, ni plus ni moins, la cinglante réponse du félin aux félons :<br /><br />- En voilà que je vais renvoyer paître ! Quel poids a la parole d’un traître ? Quel pied-tendre peut bien oser la prendre ? Tu fais partie de ceux que l’on devrait juger pour collaboration avec leur patron ! Dans un pacte d’enfer, vous avez participé à ses actes et vous lui avez offert sur un plateau vos oreilles, votre queue et votre cœur en même temps que votre honneur. Oserez-vous à nouveau trahir vos frères animaux ? Estimez-vous plutôt heureux de ne pas être cités dans l’acte d’accusation pour la complicité de vos actions ! S’il m’avait été donné de fixer les règles, vous ne seriez pas ici présents comme jurés mais purement et simplement jugés. Gaïa en ayant décidé autrement, c’est maintenant le moment de vous rattraper. Alors votre silence, maintenant et à l’unisson, serait le moindre des prix pour votre trahison !<br /><br />Puis se tournant, mutin et rieur, vers celui qui paraîtra être le supérieur de cette mutinerie :<br /><br />- Chien infidèle, depuis quand mets-tu tant de zèle à ouvrir ta gueule, de quel droit oses-tu prendre la défense d’Homme à toi tout seul ?<br /><br />Même s’il n’aura qu’à peine montré les crocs, MC Lion, en laissant tomber son imaginaire micro, se sentira calmé par le flow endiablé de ses propos, persuadé d’avoir rempli sa tâche, d’avoir enfin mis à terre son adversaire et d’avoir remporté le clash. Mais il faudra plus que ces lyrics basiques pour venir à bout du culot du cabot.<br />Et d’une implacable logique, Chien lui donnera la réplique :<br /><br />- Du droit de chaque citoyen de Terre et de chaque créature de Gaïa à bénéficier d’un avocat ! rétorquera Chien qui ne comptera pas s’en laisser compter.<br /><br />Là-dessus, par tant d’aplomb ahuri, Lion glissera d’une voix soudain radoucie :<br /><br />- Cette ordure ne vous, ne nous a-t-elle pas déjà assez couvert d’ennuis et d’injures ? Enfin quoi, n’est-il pas l’heure d’en finir avec ce vaurien pour le bien de notre avenir ? Bon sang, à quoi bon prendre la défense de celui qui sans cesse nous offense ? C’est insensé !<br /><br />Ragaillardi par cette inflexion imprévue du ton de Lion, Chien continuera à jouer, au flair, ce rôle qui commencera drôlement à lui plaire. Pour une fois qu’un traître était son propre maître… Chien prendra un air ennuyé pour poursuivre son plaidoyer :<br /><br />- Homme a bien des devoirs, auxquels il a manqué j’en conviens, mais en soi il a aussi des droits, ou bien ? Peut-être parce que je suis plus proche de lui que tu ne l’est, peut-être aussi parce que j’ai plus de courage que vous autres sauvages, et bien je ne te laisserai pas les lui retirer, tout Lion sot que tu es !<br /><br />Cette intervention, et en particulier l’apostrophe finale, auront l’effet d’une bombe au sein de cette assistance plurale. Jamais un traître n’aura osé un tel bon mot : traiter Lion de lionceau…<br />La foule, qui, dans son ensemble, ne connaissait rien en matière de procès comme en matière de politique, basculera dans le flou à la suite de cette intervention lyrique. Car qui l’eût cru ? Ces traîtres que tous s’imaginaient brimés et dont tous pensaient qu’ils seraient les premiers à condamner Homme, les voilà qui, bille en tête, viendront porter la répartie au roi des bêtes !<br /><br />Embarqué dans une partie de poker-menteur avec ce contradicteur, Lion ne manquera pas de remarquer qu’il se trouvait dans une position inconfortable et risquée. Car cette opposition, qu’était-ce d’autre qu’une remise en cause de son pouvoir jusque-là incontesté et que ce con testait, peut-être pour voir. Elle était aussi le signe d’une incompressible incompréhension et d’un désaccord latent qui régneront sur terre, dans les airs et dans les océans.<br />Et la récente découverte de la communication inter-espèces ne sera pas pour rien dans cette espèce de désunion passagère. Ce n’est pas tant la nécessaire période d’adaptation que l’expression facilitée des contestations qui sera la raison des soucis de Lion. Alors que la quasi-impossibilité de communiquer aura jusque-là été la pierre angulaire de cette dictature mammifère, le brisement de cette frontière sera l’étincelle mettant le feu à la poudrière. Il lui en aura fallu peu pour le remarquer : les dissensions étaient profondément marquées. Chacun aura son mot à dire, son testament à écrire, comme une dernière volonté avant de partir. Sûrement la peur de l’avenir et l’angoisse de la poisse ajouteront-elles à l’énervement et à l’ire.<br /><br />Malgré le peu de représentativité des mutins, il se sentira contraint d’éteindre ce départ d’incendie, sûrement bénin. De fait, Rebelle Lion n’acceptait pas de rébellion, a fortiori lorsqu’elle était tournée contre lui. Ce roi des animaux était un brin mégalo.<br />Il n’y aura pas d’autre alternative pour lui que de livrer bataille contre ce bétail, contre ces mercenaires à la solde à Homme, mais en moins sanguinaires. Et dans le fond, cela ne lui déplaira pas d’affronter ces effrontés : il faudra laver l’affront. A l’évidence, l’absence de contradiction était un signe de décadence et Lion souhaitera avant tout éviter la déliquescence de l’étatique essence, Gaïa. Un petit peu d’opposition dans le règne animal, chez ses chers sujets, ne pouvait pas faire de mal si elle était bien maîtrisée. Si les circonstances l’avaient permises et pour le remercier de lui donner ainsi l’occasion de réaffirmer son autorité, Lion aurait volontiers gratifié d’une lèche au cul bien méritée ce Chien, lèche-cul confirmé et fin connaisseur en ce secteur.<br />Il n’aura jamais douté qu’un jour, son autorité et sa vérité seraient remises en question, car l’illusion de l’accessible contestation est le nerf de la domination. Il n’aura jamais douté non plus du fait que cette contestation viendrait des traîtres : ils avaient les traits de leur maître. Mais ce qui l’ébahira, c’est que celle-ci arrive par Chien, qui n’était pourtant pas réputé pour sa témérité. Regard hagard et visage blafard, Chien sera l’incarnation du parfait trouillard. La néfaste complicité d’Homme l’amenait parfois à réaliser de dégueulasses actes de bravoure, comme à la chasse à cour, mais mis à part ça, il vivait dans la paresse, dans l’attente de la caresse.<br />Regard inquisiteur, Lion jugera qu’avait sonné l’heure :<br /><br />- Alors comme ça, tu comptes jouer les apprentis avocats ? Et bien soit, si tu te juges armé pour ça… Je te laisse conduire sa défense, même si cela ne me semble que démence. Car vous vous êtes tous aventurés sur un chemin bien risqué, et vos marges de manœuvre seront très étriquées. C’est cher que vous paierez la défaite, vous autres traîtres.<br /><br />- Ne vends pas la peau de Chien avant de l’avoir dans ton sac, d’ac ? rétorquera celui-ci du tac au tac.<br /><br />La troupe des traîtres domestiques, regroupée en cercles concentriques comme pour mieux se protéger, constituera une bien faible minorité, tant en nombre qu’en force armée. Quelle possibilité a-t-on de se faire entendre quand on est Dinde ou Cochon d’Inde et qu’on sent l’haleine chaude de Tigre du Bengale dans son cou, descendant jusqu’à chatouiller les amygdales ? En temps normal, l’intimidation, qui avait déjà sauvé Barabas, et la peur de se faire tabasser eurent été le fin et maître mot de l’histoire, mais en ce jour spécial, même les plus faibles auront un gros moral. Aucun des membres de cette coalition ne résistera à l’envie de manifester discrètement et à sa manière sa désapprobation, sentant qu’il y avait là moyen de déstabiliser un peu plus le félin. Une attaque de biais est souvent bien plus efficace qu’un face à face. S’ensuivra donc un boucan de basse-cour à abîmer les tympans alentours comme celui de Toucan Culik, qui sortira d’un coup de ses rêveries mélancoliques. Ceci ne sera pas du goût des autres espèces : c’est que ces contestataires, d’habitude tenus en laisse, commenceront sérieusement à leur taper sur les nerfs. Provoquant palabres et altercations, ces gêneurs mécontents continueront à jouer les empêcheurs de tourner en rond et entretiendront un bruit de fond digne d’une baston, ce qui n’aura rien d’un bon signe aux yeux de Lion. Encore une fois, il lui apparaîtra que la route serait sinueuse et les embûches nombreuses. A commencer par ces traîtres, qui, fidèles à leur maître absent, venaient foutre le bordel au mauvais endroit et au mauvais moment.<br />L’animosité croissante des sauvages envers ces obscurs personnages annoncera à coup sûr un pur carnage. Il semblera clair que ces avocats devraient défendre Homme et leur peau à la fois et que cela ne leur serait pas de tout repos.<br /><br />Ces fortes dissensions n’échapperont pas à Chien, qui, perpétuellement aux aguets, sentira instinctivement venir le danger. Le risque était grand de voir les choses dégénérer gravement pour lui et ses suivants. Il se sentira pris entre deux feux, tiraillé entre deux enjeux.<br /><br />D’un côté, il y aura l’immense majorité des animaux, qui avait trouvé l’unité dans ce procès de tous les excès et qu’il était en train de se mettre à dos.<br />De l’autre côté, il en ira de sa relation avec Homme, qui l’avait à la bonne, une relation basée sur la fidélité ! Cet allié de circonstance était aussi celui qui lui apportait sa pitance et ceux qui jugeaient cette alliance contre-nature étaient les mêmes qui n’avaient que des problèmes à trouver de la nourriture pour leur progéniture.<br /><br />Le dilemme sera à double tranchant, à double tête tranchée, car il était évident que ni lui ni Chienne ne seraient à la fête en cas de défaite.<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-58458505429735812832007-02-23T07:38:00.000-08:002007-05-02T07:40:55.265-07:00Chapitre 7 : Maître Chien, commis d'office de service<div style="text-align: justify;">Chien pensera qu’il était encore temps pour lui de se désister, de renoncer à cette folie. Malgré le fait que sa décision fût déjà prise depuis belle lurette, et comme une prise de tête, quelques questions tourneront en rond dans sa tête : était-ce bien à lui de s’attirer les foudres de Lion et des autres bêtes ? Pourquoi défendre celui qu’il avait eu mille fois envie de pourfendre ? Pour l’heure, son rôle de leader aura l’air incontesté au sein des siens, ce qui constituera bel et bien une nouveauté. Il les sentira aller dans son sens mais n’osant pas sortir du silence et de l’anonymat que leur procurera l’assistance. Par peur d’aller au charbon, ils s’en remettront à lui, à fond.<br /><br />Finalement n’était-ce pas son destin que de sortir de l’ombre pour contrer les sombres desseins de Lion ? N’était-il pas arrivé enfin, le jour pour lui de se lever et de se révéler aux yeux des autres comme des uns ? Somme toute, n’était-il pas le meilleur ami d’Homme entre tous et toutes ? En tout les cas, c’est comme ça qu’il le verra. Et il ne sera pas peu fier qu’on le considérât parfois comme son frère. Il avait toujours apprécié cette proximité qui, il fallait le reconnaître, était à mettre sur le compte de la soumission du traître à son maître.<br />Mais la raison numéro une, celle qui expliquera qu’il montât ainsi à la tribune et qu’il prit tant de risques, sera beaucoup moins altruiste. Il comptera bien défendre crocs et griffes ses privilèges, dont celui d’être entretenu mieux qu’une asperge. L’argument décisif, ce qui l’aura rendu si vif à aller de l’avant, c’était qu’il était bien content de ne pas avoir à chercher son repas tôt le matin, il lui était amené sur un plateau par les humains. Et puis il en avait plus qu’assez des débines, il ne se verra pas réapprendre à chasser sans son frère chasseur et sa sœur carabine. Les traîtres étaient peut-être asservis, mais ils étaient bien servis, eux.<br />Ce sera aussi une question de cohérence : lui et les siens avaient déjà trahi les uns ; en bon apôtre, il se voyait mal trahir l’autre, sous peine d’errance. Et tant pis si Homme était aussi celui qui lui avait ôté la capacité de transmettre la vie et de faire des petits : ce beau cabot sera un fidèle castrat.<br />Il se décidera à s’engager sur cette route à sens unique, conscient que tout demi-tour serait dorénavant utopique :<br /><br />- Je défendrais Homme en son nom, nom de nom !<br /><br />Rebelle Lion peinera à retenir un sourire qui en dira long sur ce rôle d’improvisation, puis ricanera sur un drôle de ton :<br /><br />- Pas de quoi te mettre ainsi aux abois, joli minois. Et bien soit ! Ma fille, tu m’épates, te voilà dans la famille des avocates ! Enfile ta robe et file vers l’opprobre, si telle est ta volonté. Nous entendrons donc la défense, mais quand j’y pense, ce pauvre Homme s’est vu attribuer un novice comme commis d’office… Puisque sur les charges retenues contre ce vaurien d’humain, on a déjà fait le point, nous t’écoutons, Chien, afin de voir si ton anti-prose vaut quelque chose. Ton p’tit discours tu vas pouvoir énoncer, avant que nous ayons tous à nous prononcer.<br /><br />Dans la position de l’avocat qui dois prendre la défense, dans un procès sans suspense, d’un accusé sans innocence présumée, Maître Chien choisira la tactique qu’il convient d’adopter dans ces cas-là : relativiser, mettre l’accent sur les circonstances atténuantes et faire glisser le débat sur une autre pente.<br /><br />- Pour commencer, je tiens à souligner à priori que je connais Homme mieux que quiconque ici, étant son plus proche ami. Mais je ne suis pas là pour défendre un allié ou vous rallier à ma cause, seulement pour vous démontrer, en toute connaissance de cause, que son vrai portrait n’est pas celui que l’on vous propose. Car la société humaine n’est pas égale devant la critique dans sa responsabilité de l’état critique de la planète : Homme d’aujourd’hui est plus nocif à Terre que celui d’hier, l’occidental lui fait plus de mal au coccyx que tous les autres mâles, les blancs-becs sont plus pesants que les mecs marrons, un prolétaire de la ville et un gars de la terre se montrent vils envers Gaïa et Terre chacun à leur manière… Tout ça pour dire que les responsabilités ne sont pas partagées également entre les humains, loin de là. Et il n’y a rien de pire que d’obéir aveuglément aux injonctions partiales d’un Lion partiellement au courant et de punir un ensemble unilatéralement, sous l’emprise de l’emballement pour cette bizarre entreprise, qui consiste à faire juger une espèce vivante bien qu’absente par des jurés pleins de préjugés. Et puis j’ai l’impression que Lion est très pressé d’oublier le principe de précaution mais que donne-t-il comme caution sur ses intentions ?<br /><br />Devant cette nouvelle pique, Lion restera stoïque, sans réplique, laissant Chien poursuivre ses critiques :<br /><br />- Une question me taraude, Lion : pourquoi mènes-tu ce procès bucolique sinon à des fins politiques ? Comment peut-on faire juger un régent par son prétendant ? Tu veux entraîner le règne animal à faire chuter Homme de son piédestal et c’est presque si déjà tu t’y installes. Mais qu’est ce qui nous laisse penser que l’empereur en place laissera la place à un meilleur successeur ? A quoi bon échanger un empereur myope contre un roi aveugle comme Taupe ? Gare au gourou… et à son courroux ! ajoutera-t-il en pensant à ce qu’il venait de dire, s’attendant au pire, à se faire aplatir.<br /><br />- Objection ! Si je suis venu avec ma compagne en ce lieu perdu, ce n’est ni pour faire campagne ni pour être élu. Je ne suis ici que le guide opportun et si je préside, c’est parce qu’il en faut un et que moi seul ai assez de bide. J’ai été chargé de cette mission par Gaïa afin que cette réunion se passe bien, Chien. M’est aussi d’avis que la question de la succession ne se pose pas, puisque ce sera moi le roi et moi l’état, du fait du peu de choix et puisque, de surcroît, j’ai Gaïa avec moi ! Aveugle, moi, ça va pas bien ? Tu oublies que je suis un félin ! D’ailleurs, « on ne voit bien qu’avec le cœur », c’est cité un ex-saint humain et en effet, la cécité de Taupe l’a-t-elle empêchée d’être au top, de se déplacer et d’assister à ce procès ? Mon cœur de Lion choisira la meilleure direction et Gaïa guidera mes pas.<br /><br />Sa science de la politique et son flair l’auront adroitement sorti d’affaire : ses sujets aimaient qu’on n’oublie pas Gaïa. Par la même occasion, il aura coupé court à toute polémique sur la présidence de la future république, et cela d’une imparable logique.<br />Chien lui-même se sentira nu devant tant d’évidence convenue et, maladroitement, le sujet à poil tentera de changer de sujet :<br /><br /> - Attention ! Qu’il n’y ait pas méprise : je ne rejoins pas Lion sur une partie de son analyse de la situation. Sur le fond, Lion a vaguement raison. Mais je ne pense pas qu’il faille répondre au terrorisme d’Homme par d’autres formes d’extrémisme, à moins de lui pondre un grand « shalom » ! Devant une telle décision que la condamnation de l’un des nôtres, nous nous devons de prendre du recul dans ce procès de mon c…<br /><br />A ces mots, et d’une voix étranglée, Lion étouffera un juron et coupera le traître, comme lui seul pouvait se le permettre :<br /><br />- Un des nôtres ? Depuis quand inclues-tu Homme dans notre tribu ? N’est-ce pas lui même qui nie tout lien de parenté avec nous ou qui concède à grande peine une vague relation passée, tout en distinguant bien la vie animale de l’humaine ? N’est-ce pas lui qui prétexte sa capacité à penser ou même à rire pour expliquer que lui, humain, et nous, animaux, ne sommes pas à mettre au même niveau ? Non mais quelle arrogance, quelle ignorance ! Ce sans-gêne sait-il seulement qu’il a quatre-vingt dix-sept pour cents de gènes en commun avec Chimpanzé son cousin ? Qui peut dire que tel don est bon et que tel autre est bon pour les cons ? Nos caractéristiques diffèrent, comme nos savoir-faire, nos spécialités, mais il n’y a pas de sous-métier. Ce sagouin ne vaut pas moins que Babouin en matières de soins, ce minus ne vaut pas plus que Puce dans l’astuce au saut. « Homme est grand parce qu’il sait qu’il meurt » qu’il dit. Pff ! Homme est à mourir de rire parce qu’il sait qu’il fait mourir et qu’il ne fait qu’en rire. Nous, au moins, avons le respect de la vie comme de la mort et nous ne sommes pas en tort. Pourquoi, dans cette situation d’urgence, devrions-nous faire preuve d’indulgence envers lui, lui faire confiance et inclure la fille et le garçon dans une famille qu’ils renient de toute façon ?<br /><br />Chien poursuivra sa leçon de séduction. Il aura jusqu’ici parlé d’une voix assurée et langoureuse, parfois même mielleuse, cela étant évidemment une arme judicieuse pour qui défend un client. Et les paroles de Chien sembleront depuis sa première intervention emplies d’une touche de philosophie, ce qui aurait paru particulièrement saugrenu à Homme s’il l’avait vu et entendu. S’il l’avait lu, il ne l’aurait pas cru. Un sage, ancêtre de Lion, avait d’ailleurs pour adage que « si un traître est idiot et ne comprend pas un traître mot de ce qui se dit, c’est qu’il naît sans connaître la liberté, n’est qu’à travers son maître, ne vit que dans le paraître et voit peu à peu ses facultés naturelles disparaître » et pour théorie que l’intellect très select chez les traîtres était dû au fait que les cerveaux dans leurs têtes avaient été très tôt bridés par le mécano mégalo. Car c’était une grande manie humaine que de manigancer, de manipuler les esprits à tout prix comme un grand manitou manie tout, les manies itou, et tout et tout…<br />La réponse du canidé sera accompagnée d’un habile froncement de sourcils, faisant se plisser les rides et les renflements de sa face en une grimace sympathique, une mimique involontairement comique :<br /><br />- Pourquoi devrions-nous faire preuve d’indulgence ? Mais sire, simplement parce que, comme tu viens de le souligner, Homme n’est pas fondamentalement différent de nous, de vous tous, messires. Il se trompe de façon certaine en distinguant vie animale et vie humaine, mais le fait que nous ne soyons pas si étrangers est une invitation à le traiter avec le respect dû à son rang de citoyen terrien. Ce n’est pas parce qu’il en manque que nous devons, nous aussi, nous conduire comme des branques à la manque. Car dans ce cas, nous ne nous montrerions pas dignes de nous prononcer, majesté.<br /><br /> Chien pensera qu’il était encore temps pour lui de se désister, de renoncer à cette folie. Malgré le fait que sa décision fût déjà prise depuis belle lurette, et comme une prise de tête, quelques questions tourneront en rond dans sa tête : était-ce bien à lui de s’attirer les foudres de Lion et des autres bêtes ? Pourquoi défendre celui qu’il avait eu mille fois envie de pourfendre ? Pour l’heure, son rôle de leader aura l’air incontesté au sein des siens, ce qui constituera bel et bien une nouveauté. Il les sentira aller dans son sens mais n’osant pas sortir du silence et de l’anonymat que leur procurera l’assistance. Par peur d’aller au charbon, ils s’en remettront à lui, à fond.<br /><br />Finalement n’était-ce pas son destin que de sortir de l’ombre pour contrer les sombres desseins de Lion ? N’était-il pas arrivé enfin, le jour pour lui de se lever et de se révéler aux yeux des autres comme des uns ? Somme toute, n’était-il pas le meilleur ami d’Homme entre tous et toutes ? En tout les cas, c’est comme ça qu’il le verra. Et il ne sera pas peu fier qu’on le considérât parfois comme son frère. Il avait toujours apprécié cette proximité qui, il fallait le reconnaître, était à mettre sur le compte de la soumission du traître à son maître.<br />Mais la raison numéro une, celle qui expliquera qu’il montât ainsi à la tribune et qu’il prit tant de risques, sera beaucoup moins altruiste. Il comptera bien défendre crocs et griffes ses privilèges, dont celui d’être entretenu mieux qu’une asperge. L’argument décisif, ce qui l’aura rendu si vif à aller de l’avant, c’était qu’il était bien content de ne pas avoir à chercher son repas tôt le matin, il lui était amené sur un plateau par les humains. Et puis il en avait plus qu’assez des débines, il ne se verra pas réapprendre à chasser sans son frère chasseur et sa sœur carabine. Les traîtres étaient peut-être asservis, mais ils étaient bien servis, eux.<br />Ce sera aussi une question de cohérence : lui et les siens avaient déjà trahi les uns ; en bon apôtre, il se voyait mal trahir l’autre, sous peine d’errance. Et tant pis si Homme était aussi celui qui lui avait ôté la capacité de transmettre la vie et de faire des petits : ce beau cabot sera un fidèle castrat.<br />Il se décidera à s’engager sur cette route à sens unique, conscient que tout demi-tour serait dorénavant utopique :<br /><br />- Je défendrais Homme en son nom, nom de nom !<br /><br />Rebelle Lion peinera à retenir un sourire qui en dira long sur ce rôle d’improvisation, puis ricanera sur un drôle de ton :<br /><br />- Pas de quoi te mettre ainsi aux abois, joli minois. Et bien soit ! Ma fille, tu m’épates, te voilà dans la famille des avocates ! Enfile ta robe et file vers l’opprobre, si telle est ta volonté. Nous entendrons donc la défense, mais quand j’y pense, ce pauvre Homme s’est vu attribuer un novice comme commis d’office… Puisque sur les charges retenues contre ce vaurien d’humain, on a déjà fait le point, nous t’écoutons, Chien, afin de voir si ton anti-prose vaut quelque chose. Ton p’tit discours tu vas pouvoir énoncer, avant que nous ayons tous à nous prononcer.<br /><br />Dans la position de l’avocat qui dois prendre la défense, dans un procès sans suspense, d’un accusé sans innocence présumée, Maître Chien choisira la tactique qu’il convient d’adopter dans ces cas-là : relativiser, mettre l’accent sur les circonstances atténuantes et faire glisser le débat sur une autre pente.<br /><br />- Pour commencer, je tiens à souligner à priori que je connais Homme mieux que quiconque ici, étant son plus proche ami. Mais je ne suis pas là pour défendre un allié ou vous rallier à ma cause, seulement pour vous démontrer, en toute connaissance de cause, que son vrai portrait n’est pas celui que l’on vous propose. Car la société humaine n’est pas égale devant la critique dans sa responsabilité de l’état critique de la planète : Homme d’aujourd’hui est plus nocif à Terre que celui d’hier, l’occidental lui fait plus de mal au coccyx que tous les autres mâles, les blancs-becs sont plus pesants que les mecs marrons, un prolétaire de la ville et un gars de la terre se montrent vils envers Gaïa et Terre chacun à leur manière… Tout ça pour dire que les responsabilités ne sont pas partagées également entre les humains, loin de là. Et il n’y a rien de pire que d’obéir aveuglément aux injonctions partiales d’un Lion partiellement au courant et de punir un ensemble unilatéralement, sous l’emprise de l’emballement pour cette bizarre entreprise, qui consiste à faire juger une espèce vivante bien qu’absente par des jurés pleins de préjugés. Et puis j’ai l’impression que Lion est très pressé d’oublier le principe de précaution mais que donne-t-il comme caution sur ses intentions ?<br /><br />Devant cette nouvelle pique, Lion restera stoïque, sans réplique, laissant Chien poursuivre ses critiques :<br /><br />- Une question me taraude, Lion : pourquoi mènes-tu ce procès bucolique sinon à des fins politiques ? Comment peut-on faire juger un régent par son prétendant ? Tu veux entraîner le règne animal à faire chuter Homme de son piédestal et c’est presque si déjà tu t’y installes. Mais qu’est ce qui nous laisse penser que l’empereur en place laissera la place à un meilleur successeur ? A quoi bon échanger un empereur myope contre un roi aveugle comme Taupe ? Gare au gourou… et à son courroux ! ajoutera-t-il en pensant à ce qu’il venait de dire, s’attendant au pire, à se faire aplatir.<br /><br />- Objection ! Si je suis venu avec ma compagne en ce lieu perdu, ce n’est ni pour faire campagne ni pour être élu. Je ne suis ici que le guide opportun et si je préside, c’est parce qu’il en faut un et que moi seul ai assez de bide. J’ai été chargé de cette mission par Gaïa afin que cette réunion se passe bien, Chien. M’est aussi d’avis que la question de la succession ne se pose pas, puisque ce sera moi le roi et moi l’état, du fait du peu de choix et puisque, de surcroît, j’ai Gaïa avec moi ! Aveugle, moi, ça va pas bien ? Tu oublies que je suis un félin ! D’ailleurs, « on ne voit bien qu’avec le cœur », c’est cité un ex-saint humain et en effet, la cécité de Taupe l’a-t-elle empêchée d’être au top, de se déplacer et d’assister à ce procès ? Mon cœur de Lion choisira la meilleure direction et Gaïa guidera mes pas.<br /><br />Sa science de la politique et son flair l’auront adroitement sorti d’affaire : ses sujets aimaient qu’on n’oublie pas Gaïa. Par la même occasion, il aura coupé court à toute polémique sur la présidence de la future république, et cela d’une imparable logique.<br />Chien lui-même se sentira nu devant tant d’évidence convenue et, maladroitement, le sujet à poil tentera de changer de sujet :<br /><br /> - Attention ! Qu’il n’y ait pas méprise : je ne rejoins pas Lion sur une partie de son analyse de la situation. Sur le fond, Lion a vaguement raison. Mais je ne pense pas qu’il faille répondre au terrorisme d’Homme par d’autres formes d’extrémisme, à moins de lui pondre un grand « shalom » ! Devant une telle décision que la condamnation de l’un des nôtres, nous nous devons de prendre du recul dans ce procès de mon c…<br /><br />A ces mots, et d’une voix étranglée, Lion étouffera un juron et coupera le traître, comme lui seul pouvait se le permettre :<br /><br />- Un des nôtres ? Depuis quand inclues-tu Homme dans notre tribu ? N’est-ce pas lui même qui nie tout lien de parenté avec nous ou qui concède à grande peine une vague relation passée, tout en distinguant bien la vie animale de l’humaine ? N’est-ce pas lui qui prétexte sa capacité à penser ou même à rire pour expliquer que lui, humain, et nous, animaux, ne sommes pas à mettre au même niveau ? Non mais quelle arrogance, quelle ignorance ! Ce sans-gêne sait-il seulement qu’il a quatre-vingt dix-sept pour cents de gènes en commun avec Chimpanzé son cousin ? Qui peut dire que tel don est bon et que tel autre est bon pour les cons ? Nos caractéristiques diffèrent, comme nos savoir-faire, nos spécialités, mais il n’y a pas de sous-métier. Ce sagouin ne vaut pas moins que Babouin en matières de soins, ce minus ne vaut pas plus que Puce dans l’astuce au saut. « Homme est grand parce qu’il sait qu’il meurt » qu’il dit. Pff ! Homme est à mourir de rire parce qu’il sait qu’il fait mourir et qu’il ne fait qu’en rire. Nous, au moins, avons le respect de la vie comme de la mort et nous ne sommes pas en tort. Pourquoi, dans cette situation d’urgence, devrions-nous faire preuve d’indulgence envers lui, lui faire confiance et inclure la fille et le garçon dans une famille qu’ils renient de toute façon ?<br /><br />Chien poursuivra sa leçon de séduction. Il aura jusqu’ici parlé d’une voix assurée et langoureuse, parfois même mielleuse, cela étant évidemment une arme judicieuse pour qui défend un client. Et les paroles de Chien sembleront depuis sa première intervention emplies d’une touche de philosophie, ce qui aurait paru particulièrement saugrenu à Homme s’il l’avait vu et entendu. S’il l’avait lu, il ne l’aurait pas cru. Un sage, ancêtre de Lion, avait d’ailleurs pour adage que « si un traître est idiot et ne comprend pas un traître mot de ce qui se dit, c’est qu’il naît sans connaître la liberté, n’est qu’à travers son maître, ne vit que dans le paraître et voit peu à peu ses facultés naturelles disparaître » et pour théorie que l’intellect très select chez les traîtres était dû au fait que les cerveaux dans leurs têtes avaient été très tôt bridés par le mécano mégalo. Car c’était une grande manie humaine que de manigancer, de manipuler les esprits à tout prix comme un grand manitou manie tout, les manies itou, et tout et tout…<br />La réponse du canidé sera accompagnée d’un habile froncement de sourcils, faisant se plisser les rides et les renflements de sa face en une grimace sympathique, une mimique involontairement comique :<br /><br />- Pourquoi devrions-nous faire preuve d’indulgence ? Mais sire, simplement parce que, comme tu viens de le souligner, Homme n’est pas fondamentalement différent de nous, de vous tous, messires. Il se trompe de façon certaine en distinguant vie animale et vie humaine, mais le fait que nous ne soyons pas si étrangers est une invitation à le traiter avec le respect dû à son rang de citoyen terrien. Ce n’est pas parce qu’il en manque que nous devons, nous aussi, nous conduire comme des branques à la manque. Car dans ce cas, nous ne nous montrerions pas dignes de nous prononcer, majesté.</div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-13978086601690071952007-02-21T07:41:00.000-08:002007-05-02T07:44:47.575-07:00Chapitre 8 : Des hauts, des bas, des bassesses et des débats<div style="text-align: justify;"> Le félin ne tombera pas dans le piège de ce malin de Chien. Lion, dont l’un des atouts était de tout savoir sur les forces et faiblesses de chaque espèce, connaîtra parfaitement son aisance à corrompre les consciences, technique dont Chien avait en abondance fait l’expérience sur Homme. Il n’aura jamais sous-estimé le pouvoir des yeux de Chien à inspirer la pitié ou la compassion, c’est selon. Et il réalisera maintenant à quel point l’humain avait salement déteint sur Chien, qui utilisait désormais allègrement l’émotion pour mobiliser les opinions.<br />Il sera temps pour le sire de se ressaisir et d’en finir :<br /><br />- Chien, ne joue pas l’intellectuel ; avec ton esprit superficiel, tu ne sembles pas réaliser qu’il s’agit ici d’un cas exceptionnel, d’une première autant par l’urgence de la situation que par la nature de l’accusation. En outre, en outrageant les lois du bon sens, Homme se met une fois pour toute hors-la-loi et hors de toute défense. Ce procès dépasse toutes les règles du droit et de la justice appliquées jusqu’ici. Pour la première fois n’est pas jugé un individu d’une espèce mais une espèce et tous ses individus. C’est la justice de Gaïa qui prend là le dessus et qui impose une intransigeance totale contre l’abus fatal de cet être puéril qui met l’existence d’une planète entière en péril. Pile ou face, quoiqu’il se passe, c’est Gaïa qui a l’as : l’issue de ce procès sera peut-être vaine mais restera jusqu’au bout incertaine, car nous ne sommes pas les derniers maîtres de nos destinées ! Notre décision finale, si de Gaïa elle a l’aval, ouvrira la voie à une vraie démocratie multiraciale, car la majorité absolue aura enfin la parole, fermant ainsi la gueule à l’ex-idole des groupies asservies, à la gente des gens que nous haïssons tant ! Il ne s’agit pas ici de nous montrer justes mais juste de prendre, pour de bon, la bonne décision.<br /><br />- Qui est… émettra Chien, à moitié incertain.<br /><br />- Vous la connaissez tous et toutes aussi bien que moi : au diable cette fois nos pulsions refoulées, nos frustrations cachées et notre patience illimitée ! L’heure n’est plus à espérer, car des siècles d’espoir d’une vie sans histoire ne nous ont conduit qu’à reculer, au quotidien, devant ce vaurien. Combien de fois avons-nous, dans notre lit, fait des rêves fous et élaboré des scénarii de fou visant à lui faire payer ses tueries ? Et combien de fois avons nous réalisé ces projets ? Les statistiques nous donneraient à tout casser un taux de zéro un pour cent, ce n’est évidemment pas assez… Certes, certains ont bien réussi à punir cet Homme minable pour ses crimes abominables. Mais les rares fois où cette vengeance a pu se concrétiser n’ont été que des actes isolés : ici Requin Blanc a pu, sur un malentendu, croquer un surfeur imprudent, là Loup a pu faire la peau à la bergère du troupeau mais en fin de compte, ce damné d’Homme sort quasi-indemne et sans aucune honte de ses exactions envers les mondes minéral, végétal et animal !<br />Il faut sévir, et pour de bon, car nous avons la solution : elle se trouve dans l’union et la répression contre l’oppression, elle consiste à utiliser notre malheur contre l’oppresseur. Le temps fut trop long où nos divisions et nos caprices ont empêché toute intervention salvatrice. Mais celle-ci viendra en temps voulu et nous auront besoin de vous, traîtres à la traîne, et de vos sciences politiques, diplomatiques et humaines.<br />Evidemment, cela ne sera pour personne un choix évident. Condamner un terrien, c’est tout de même condamner un contemporain, un concitoyen, même s’il est plus con que citoyen. Moi-même qui l’accable devant vous, ça me fait tout che-lou parce qu’il m’arrive aussi de le trouver aimable. Mais on n’est pas là pour faire au cas par cas, les gars ! Car voilà qui nous amène à nous poser bien des questions sur cet énergumène et en particulier celle de la nature humaine. Moi, quand je vois une infime cellule qui pullule, pollue et s’en prend à l’organisme auquel elle appartient, j’en viens à me poser des questions : est-ce bien une cellule comme moi ou juste un greffon rajouté, un rejeton à rejeter ? <br /><br />- Que ce genre d’inepties puisse sortir de la gueule de notre soi-disant roi me laisse pantois, mais pas sans voix ! Voyons, Lion : ce discours est un peu court, dis-moi… Pourquoi voir des différences là où il n’y a que des dissemblances ? Vue de l’extérieur, notre étrange assemblée de spécimens parlants doit d’ailleurs avoir l’air étonnamment humaine. Homme ne nous est pas en tout point opposé, c’est un théorème de base à poser. Je sais de quoi je parle : je l’ai longtemps observé et j’ai pu remarquer qu’il existait autant de pluralité au sein de la famille des humains que dans l’animalité. Bon ou moins bon, il n’en existe pas deux identiques, mais ils ont pour commun point commun d’être bordélique. C’est le genre de locataire qui n’a pas pour priorité de laisser le studio dans l’état où il l’a pris, qui ne l’a pas appris, ou qui, en se développant, l’a oublié. Et au fil du temps, vil taudis est devenu l’appartement. Tous autant que nous sommes, habitants végétaux, animaux ou humains, nous ne sommes que des cellules vivantes, composantes de Gaïa, qui, sur terre, en l’air et dans les airs, vive, hante Terre. Toutes nos actions ont pour unique conséquence de participer à la vie de l’esprit. Et de ce point de vue, il y contribue au moins autant que nous, amenant avec lui sciences, arts, cultures, passion, ou encore réflexion. Sans aucun doute son apport et le nôtre sont-ils sans commun rapport même si ça n’empêche pas l’autre d’être en tort…<br />Car force est aujourd’hui de constater qu’Homme peut être considéré comme un cancer qui nuit à la santé de notre belle planète Terre Je vous rejoins dans ce diagnostic, Lion, mais il y a un hic ! Cela ne signifie pas qu’il s’agisse d’une cellule à réduire à l’état de bulle. Homme est une cellule défectueuse et infectée qu’il s’agit là de soigner plus qu’un virus à éradiquer. Car comme n’importe quelle espèce du vivant, il est indispensable à son bon fonctionnement. A mon avis, la priorité n’est donc pas de le juger et de le condamner, comme vous semblez tous prêts à le faire ; au contraire, il est de notre devoir d’examiner ce patient imaginaire et de trouver les remèdes à sa maladie, même s’il ne manque pas d’air. Cesse donc de jouer l’hyper crétin, le technocrate qui ment pour enfin répondre au serment d’Hippocrate. Si je me fais son avocat pour son bien, je vous demande à vous tous, jurés, de vous faire son médecin. Car la pure et simple sanction ne nous fera pas sortir de cette dure situation. Peut-être y a-t-il une prévention à faire en amont ? Nous n’avons pas fait preuve d’attention et nous n’avons pas su mettre en œuvre des mesures de protection quand il en était encore temps, alors, lors de cette rencontre, ce serait aller contre le bon droit et la raison que de pratiquer directement la répression à son encontre. Notre mission va au-delà du seul procès, c’est ce que Lion a oublié de préciser : nous nous devons de laisser à Homme une dernière chance de se rattraper, signer avec lui un nouveau bail et le remettre dans les bons rails. Et je suggère que l’on coopère avec ce compère pour sortir Terre de son état précaire. A commencer par le climat, qu’il nous faudra re-régler et rien que pour ça, nous aurons besoin de bien des bras !<br /><br />Déterminé à mettre ce coriace canin à l’épreuve, Lion se décidera à avancer en terrain miné, sans preuves :<br /><br />- Voilà maintenant que tu plaides en faveur de son aide ? C’est Terre à l’envers ! Faire appel à lui pour réparer ses dégâts, ce serait faire comme Homme quand il a recours à la climatisation pour lutter contre l’augmentation de la température : ça aggraverait l’état de fait sans apporter de solution. L’humain vit bien au-dessus de ses moyens. Il méprise ses ressources naturelles limitées, tellement que ça frise la débilité ! Et puis, il n’aurait pas la manière ni assez de matière pour lutter contre l’effet de serre qui fait tant transpirer Terre. Cette démarche lui demanderait non seulement de réparer ses erreurs grossières, mais aussi de faire marche arrière, d’aller vers plus de simplicité et de sobriété. Je ne l’en crois plus capable, son inertie notable ne laisse entrevoir aucune éclaircie, et il est trop tenté par le superflu, par l’appropriation et l’accumulation pour ne pas céder à la tentation. Maintenant on a atteint un point de non-retour et tout ça à cause de ce putain de lourd, qui, pour sûr, n’a pu voir le jour avec le recours de l’amour. Et si Homme n’était pas un enfant désiré de Gaïa ? Je pose la question car la question s’impose ! S’il était arrivé sans que sa présence n’ait été souhaitée ? Peut-être cette petite terreur est-elle le résultat d’une petite erreur de manipulation de Gaïa ou d’un dysfonctionnement dans le mouvement de l’évolution : le merveilleux mécanisme de la vie n’est pas sans faille et les yeux de Gaïa ne sont pas sans paille…<br /><br />A ces mots, Paon fera la moue puis, d’un coup, fera la roue, ses chatoyantes couleurs devant tous étalées, et il laissera tomber :<br /><br />- Ah la la ! Le procès dure…<br /><br />Cette pirouette deux en un sera son moyen à lui de montrer son mécontentement devant la tournure que prendront les événements. Paon, talons baissés, montrant ouvertement son arrière-train, prendra la posture exhibitionniste et impudique qu’on affectionnait tant dans sa clique. Ce Paon teint, lui-aussi manipulé par Homme, trouvera étrangement ici l’occasion de manifester sa présence et d’exprimer son opinion. Car si c’est un us et coutume de coutume chez les animaux que de montrer son derrière, cela constituera, à ce moment précis et de sa part, une insulte à part entière. Il n’appréciait pas qu’on s’asseye ainsi sur Gaïa, qu’on révise l’histoire rien que pour foutre le bazar. Mais le flamboiement des couleurs de sa queue ne touchera que bien peu le cœur des acteurs : la nuit, tous les habits sont gris.<br />Ignoré comme il se doit et comme moins-que-rien par le roi comme par Chien, Paon rangera ses plumes et laissera le molosse présumer, tout sauf féroce :<br /><br />- Lion, crois-tu Gaïa capable d’une telle aberration ? N’as-tu rien de pire comme dires ? Supposer qu’Homme est le résultat d’une évolution non désirée, c’est remettre en cause la perfection même de Gaïa, et cela s’appelle du blasphème ! L’avènement d’Homme fut le fruit de sa volonté propre, et de rien d’autre… Crois-tu notre mère, pourtant omnipotente, incapable de maîtriser le processus de l’évolution galopante ?<br /><br />Lion, les traits fendus d’un rictus mauvais, répondra :<br /><br />- Et toi, Chien insipide, crois-tu Gaïa assez stupide pour engendrer un enfant matricide ? Aurait-elle décidé de mettre fin à son existence, et à la nôtre, en donnant naissance à cet être autre qui causerait sa perte ? Si je blasphème, ce que tu assènes pose aussi problème !<br /><br />La biodiversité animale se retrouvera autant dans leurs caractéristiques morphologiques et psychologiques que dans les courants religieux, qui, bien que considérant tous Gaïa comme être supérieur, auront différentes intensités dans la ferveur.<br /><br />Une partie de ces artistes avait en effet une foi animiste et pas triste. Les « gagas de Gaïa », extrêmement fervents, voyaient en tout être vivant un ami permanent. L’adoration indéfectible qu’ils vouaient aux éléments de la nature offrait souvent un amusant spectacle, fait d’excès dans la mesure et d’accès de démesure. Pour certains, manger un autre être vivant animal pouvait alors devenir un supplice insupportable. Beaucoup de carnassiers seraient depuis longtemps devenus végétariens s’ils n’avaient crû impénétrables les voies de Gaïa et les lois de Terre, s’ils n’avaient risqué de briser l’équilibre de la chaîne alimentaire et de végéter à ne rien faire. Serpent à Sonnettes, gourmand d’omelette et ovipare, donc très à part, aurait même volontiers opté pour le végétalisme et renoncé, par altruisme, aux œufs d’oiseaux, un régal pourtant vital dans ce grand zoo, s’il ne s’était agit de sa survie. Il se trouvait des êtres tellement sensibles au vivant que le fait même de manger des végétaux révulsait étonnamment. Parmi eux, Raton Laveur était sûrement celui qui y mettait le plus d’ardeur : frottant, baignant, trempant sa nourriture dans l’eau, il perpétuait ce rite ancestral, qui était autant une activité ludique qu’un rituel purificateur et cathartique. Dans le genre mélodrame, il y a aussi Hippopotame, souvent surpris en flagrant délit en train de nettoyer le corps sans vie d’Antilope, de le veiller et de porter le deuil de la dame, au grand dam des goujats et des « anti-lope-sa ».<br /><br />Il existait par ailleurs un mouvement spirituel qui avait le vent en poupe et dont la pierre angulaire était la foi dans le groupe, cela au travers d’un fort instinct grégaire. Pros du management et des ressources animales, semblables au mouton de Panurge dès que ça urge, la communauté prenait pour eux l’ascendant sur l’individualité. Et Gaïa était pour eux un aimant, le ciment qui les maintenait soudés contre les éléments, avec le sentiment que un plus un font cent.<br /><br />A l’inverse, il y avait aussi une frange animale qui n’avait foi qu’en le « moi ». Pour elle, le seul moyen de faire front à la loi du plus fort et à la mort était de ne compter que sur soi. La vie en solitaire et au grand air était pour ces hardis-là le plus beau des paradis.<br /><br />Enfin sévissait chez les traîtres, soi-disant incultes, un courant religieux qui s’était vissé à Homme, et qui lui vouait un culte. Dès son apparition sur Terre, ses caractéristiques si particulières avaient effrayé, émerveillé un certain nombre d’animaux, les plus faibles selon les moqueurs, et la réponse à de tels sentiments avait été la constitution d’une croyance en Homme comme prophète, comme envoyé de Gaïa sur la planète. Il était pour eux un être semi-divin, un héros qu’ils tentaient d’imiter, en vain. De l’admiration à la domestication il n’y a qu’un pas : dans leur combat pour la survie, ils avaient trouvé comme échappatoire la soumission et comme exutoire la religion.<br /><br />Les frontières entre croyances n’ayant rien d’imperméable, les influences réciproques auront créé un ensemble fait de bric et de broc, les plus sages piochant ici et là, mélangeant des éléments ad hoc, tendance new age. A une autre époque, ce syncrétisme aurait eu des allures de saint crétinisme.<br /><br />On retrouvera ces différentes conceptions dans les oppositions récurrentes et c’est pourquoi procureur et avocat auront du mal à s’accorder sur le cas d’Homme, chacun s’étant accommodé du lien qu’il voyait entre l’esprit divin et la naissance du bébé.<br /><br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-48713602232648636982007-02-19T07:44:00.000-08:002007-05-02T07:46:31.470-07:00Chapitre 9 : Révélation comme un affront<div style="text-align: justify;"> Le traître se résignera alors à émettre, à contrecœur, ce qui ressemblera à une supposition pleine de rancœur et de rancune, mais qui n’en sera pas une :<br /><br />- Peut-être Gaïa fût-elle mue par un besoin quelconque, fût-il futile, en tout cas plus fort qu’elle : cons que vous êtes, cela vous échappe-t-il ? Car enfin, puisque l’insistance n’est pas suffisante, je me dois d’utiliser la véhémence : l’omnipotente Gaïa a souhaité la venue d’Homme comme elle a souhaité et amené notre présence, apparemment insuffisante. Y a pas débat : pourquoi attribuer à un aléa ce qui fut manifestement quelque chose de délibérément décidé et voulu ?<br /><br />- Et pour quelle raison Gaïa aurait-elle souhaité son arrivée ? <br /><br />Intrigué, Lion aura grogné ça avec mauvaise humeur, l’air inquisiteur. Ravi de son petit effet, de l’intérêt soudain provoqué, la mine rayonnante de Chien se fera insinuante :<br /><br />- Allons, allons, Lion…. Tu n’ignores rien des menus détails qui distinguent l’animal de l’humain : la différence est de taille, elle n’a rien de ténue. Vous avez été, comme moi, surpris de découvrir ce langage commun qui nous permet de débattre ici et aujourd’hui. Homme fonde une partie de sa supériorité sur sa capacité à communiquer à l’infini. A l’évidence, si la nature l’a pourvu de capacités globalement largement supérieures aux nôtres, c’est que Gaïa tenait à créer un être autre, une entité apportant un « plus » sensible et plus susceptible de répondre à des besoins particuliers…<br /><br />Ne sachant pas trop où il voulait en venir, c’est sans se languir que l’assemblée se laissera porter par cette harangue, la buvant littéralement, n’ayant rien d’autre à se mettre sous la langue. Et c’est sans grande peine que Chien la tiendra en haleine. Malgré les moqueries des autres, il était connu et reconnu comme féru d’anthropologie : cabot de terrain et dogue de sciences, sa logique pragmatique ne laissera personne dans l’indifférence.<br /><br />- Ne prenez pas ça pour une hypothèse, mais dans sa genèse, Gaïa a engendré Homme pour son propre « plaiz’ », pour qu’il la distraie de ses attraits, l’amuse de ses foutaises et l’apaise dans ses malaises. Au sixième temps de la création, après avoir créé à son aune océans, continents, flore, faune, j’en passe et des meilleures encore, Gaïa s’ennuyait déjà : désœuvrée, elle eut l’idée de rajouter à son œuvre, par le truchement de l’évolution, un être assez différent des autres vivants, une innovation. Malgré votre mauvaise foi et votre connaissance restreinte de l’humain, vous ne pouvez ignorer à quel point la civilisation humaine est passionnante, enivrante et même rarement soûlante pour Gaïa, qui en est restée baba et qui, depuis, ne s’est jamais plus ennuyée. Vous nous traitez de traîtres et vous vous moquez de nous, mais vous passez à côté du show dément qu’est le côtoiement de notre nounou. Vous nous pensez asservis en nous voyant le servir, mais c’est pour nous le prix à payer pour nos loisirs. Et puis, vous ignorez ceci : peu après son apparition, malmené par de rudes conditions de vie et par des ennemis pas vraiment prudes, Homme exigea de Gaïa qu’elle mette des animaux dociles à sa disposition afin de faciliter son intégration. Nous fûmes donc sacrifiés pour assurer son confort et priés de faire des efforts. Telles furent les consignes de Gaïa : que faire dans ce cas-là ? En contrepartie, elle nous dota d’un sens du spectacle, qui nous fait goûter, aujourd’hui encore et quotidiennement, à un délicieux repas de bon temps et d’amusement, mais que vous ne pouvez malheureusement apprécier parce que non-initiés… C’est un mal pour un bien : nous rions sous cape et lui s’en tape bien, il ne capte rien. Ainsi notre honneur est-il sauf, car si ce beauf semble nous mener par le bout de la queue, c’est lui le bouffon et nous qui rigolons. Notre respect pour cet état des choses, c’est la base de cette symbiose. Tant qu’il a l’impression que c’est lui le savant, nous sommes gagnants. Pour moi, c’est un exploit extraordinaire que de lui avoir laissé penser ça durant des millénaires… Vous voilà maintenant au courant d’un des plus grands secrets de tous les temps. Homme lui-même a comme oublié cette faveur qui lui a été faite et qui lui a facilité la fête. Nous seuls, domestiqués, étions au parfum : et oui, un traître est plus malin qu’il peut le paraître ! J’espère que cela fera taire les mauvaises et trop longues langues, par trop exsangues, au point qu’elles fourchent et qu’elles tanguent.<br /><br />Il est des révélations qui vont au-delà de toute négation. A ce moment précis, personne de doutera de la véracité de tels propos et personne ne cherchera à nier aussitôt ce qui, instantanément, était devenu évident. Du stade de captivée, la foule des animaux passera alors à celui de captive de son nez, de ses naseaux, le souffle coupé par l’annonce de Chien, pas si nabot, mine de rien. Elle aura jusque-là suivi l’affrontement avec l’intérêt qui est dû à ce genre d’événement. Prenant seulement parti dans les temps impartis, elle aura, dans son ensemble, adoptée une attitude plutôt moribonde, en dépit du fait que ce procès concernât tout le monde. Elle aura longtemps préféré laisser à ces deux foudres de guerre le soin de se battre et de débattre de l’avenir de Terre, pour se glisser dans le rôle agréablement neutre de spectateur. Chacun soutenant son poulain, canidé ou félin, personne ne voulant vraiment se mouiller les mains. Mais cette révélation aura sérieusement secoué l’ensemble des sauvages, de sorte que les quelques endormis auront été vivement tirés de leur dodo par les sursauts de surprise des autres convives. Méduse en restera médusée, Babouin en sera carrément sur le cul, qu’il avait nu, et Guépard n’en reviendra pas, même s’il continuera à se montrer gai par courtoisie. Cela sera une réelle stupéfaction que de découvrir le pourquoi de la domesticité des traîtres, mais plus encore, cela sera l’élément déclencheur d’une véritable prise de conscience de la mise à mal de la condition animale. Cela donnait enfin un sens à leur comportement soumis qui aura toujours été de l’ordre de l’incompris pour les non-initiés au fascinant spectacle de l’humanité. Mais la résolution de cette équation n’aura que peu de poids par rapport à ce que sous-entendra la révélation. Dans toutes les têtes, celle-ci sera perçue comme un affront simultané à toutes les espèces laissées pour compte : ainsi Homme était-il arrivé là pour combler un manque affectif de Gaïa. Blessée par tant d’injustice, l’assistance aura tout à coup l’âme transie d’une amoureuse trahie. Car jusque-là, Gaïa aura eu le mérite de conserver l’aveugle confiance de ses créatures, animales bien sûr, et ce, quelles que soient leurs croyances. Et patatras ! Voilà que soudain tout ce bloc de sûreté se trouvera fissuré. L’idée abjecte d’avoir été considérés comme des animaux-objets les aura traversés…<br /><br />Estomaqués, ils auront vraiment de quoi l’être, mais sans que cela ait aucun lien avec la faim. Et, soit dit en passant, c’est vrai que celle-ci aurait dû commencer à tenailler les estomacs et occuper les esprits depuis longtemps ! Mais tous auront été saisis par ce même esprit qui leur avait apporté l’intercommunication et qui leur donnera aussi l’impression d’une satiété constante, mettant ainsi sur pause cet instinct qui en d’autres circonstances aurait fait se jeter Rorqual sur Lion de Mer, Fourmilier sur Termite et peut-être même Aigle Royal sur Mite. Sans cela donc, on eut assurément assisté à la plus grande boucherie de tous les temps et ce bout de cirque n’aurait servi à rien, tout ce procès aurait été vain.<br />Comme les autres, Lion ne sera confronté à aucun problème d’alimentation, mais ce que Chien aura révélé au grand jour aura été un formidable coup de poing à l’estomac et il se trouvera à genoux, l’esprit et le corps vidés, comme pieds et poings liés. Elle sera bien loin maintenant la béatitude d’antan : ébranlé dans ses certitudes par cette révélation et plongé dans une attitude de doute, il se verra placé dans l’inconfortable position de celui qui maîtrise mal son sujet ou qui n’est pas au fait de toute l’actualité. Réalisant la véracité probable d’une affirmation si ciselée, il mettra quelques instants à se relever, pour finalement reprendre la parole, la voix hachée :<br /><br />- Ainsi, Homme était un caprice de l’artiste suprême et votre servitude un cadeau pour ce fils narquois, une sorte de « je t’aime », quoi… Ma foi, pourquoi pas ! C’est vrai que ça ne sonne pas faux, que c’est plutôt à-propos. Il est plus doué que nous pour beaucoup… Il s’est construit une civilisation d’une complexité que n’égale que sa diversité… En fin de compte, ce chouchou est pour Gaïa un joujou bien mieux que nous…<br /><br />Il y aura encore un temps de pause, car il faudra qu’ils se reposent. Le temps ralentira son cours dans cette cour tellement cool et déjà nettement saoulée. Ni l’alcool ni la colle ne seront responsables de l’ivresse de ces espèces mais plutôt les médicaments. C’est qu’il leur faudra digérer la pilule que leurs orifices auditifs auront ingérée en apéritif. Et dire que le digestif restait encore à venir…<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-83055322410664354882007-02-17T07:47:00.000-08:002007-05-02T07:49:18.469-07:00Chapitre 10 : Break dans ce procès<div style="text-align: justify;"> Lion aura été assommé par ce qui venait d’être annoncé et il tentera désespérément de s’accrocher au socle de sa fierté illustre, sur lequel il se maintenait si facilement depuis des lustres. Incapable de remettre en cause cette affirmation nouvelle et invérifiable sur le moment, Lion sera d’autant plus mal à l’aise que ce qu’il espérait toujours être une hypothèse apportait une réponse à la question qu’il l’accompagnait tous les jours : pourquoi le roi des animaux n’avait-il hérité que d’un pastiche de force physique, tandis qu’Homme s’était vu offrir parole, adresse, clairvoyance et science ? Certes Lion avait reçu le plus beau cadeau qui soit : il va de soi qu’il en va de sa crinière de soie. Mais il l’aurait volontiers troqué contre deux mains équipées de pouces en opposition des autres doigts, comme il se doit, comme Homme. On disait en effet de Lion qu’il était gauche, qu’il était né avec deux pattes gauches ; pour un roi c’est auch ! Puissantes, mais gauches. Pratiques pour la chasse mais inaptes à tenir une tasse, à faire une passe ou à tirer la chasse. Ses coussinets les rendaient agréables pour marcher et courir mais s’il voulait saisir quelque chose, même quelque chose de facile, ils lui rendaient la tâche difficile. Si ses deux pattes avant avaient pu lui être utiles à autre chose, il se serait lui aussi tenu debout et aurait pris la vie par le bon bout, comme Homme. Et ce faisant, il ne serait pas resté à quatre pattes, carapaté à l’âge du fier et aurait pu vivre tout-puissant et pépère, comme Homme.<br />Après avoir été si actives, la gorge de Lion se trouvera sèche et sa langue râpeuse, ce qui arrive, mais il n’empêche, où sera donc passée cette salive il y a peu si généreuse ? Sur le moment, il enviera Chien, qui, en toute circonstances, en avait en abondance, de cette bave dégoulinante, si dégoûtante. Etait-ce ses longues tirades ou bien son épaisse coiffe qui lui donnaient si soif ? Car si la faim sera absente de leurs esprits, il n’en n’ira pas de même de leur besoin de boire et cela à leur grand désespoir. Et l’eau du fleuve, du fait de sa salinité, ne leur sera d’aucune utilité. « Inch’Gaïa, on aura bientôt de l’eau et on se gavera… » pensera Dromadaire, ascète du désert, qui connaîtra un peu les contraintes de la sécheresse et le syndrome de la langue sèche et rêche.<br /><br />Peu concerné par ces préoccupations d’ordre matériel, Chien profitera lui aussi de ce long break pour réfléchir de plus belle. Il s’agira pour lui de ne pas perdre de vue les objectifs affichés d’entrée, à savoir amener ce vaste jury à l’indulgence et contrecarrer les plans de la régence. Mais dans sa course à la défense d’Homme, il ne sera pas sûr d’avoir fait le bon choix en révélant le pourquoi de la présence du paumé ici-bas. La déception de l’immense majorité de la population sera alors à la hauteur de leur foi en Gaïa en apprenant qu’elle les avait négligée et que l’autre leur avait toujours été préféré.<br />Et Gaïa sait pourtant que gagner la voix des sauvages sans enfreindre la loi sera dans ce procès un but essentiel à atteindre. Ce qu’il appelait de tous ses vœux, c’était en premier lieu convaincre ces envieux, et ce pour mieux vaincre. Dans cette optique-là, il se sera peut-être un peu emballé, un peu laissé aller. Entraîné par l’émotion, enhardi par le défi, il avait dévoilé, quasiment de but en blanc, un mystère sur lequel le voile était resté tiré pendant des millénaires, comme sur une toile, une œuvre d’art. Pourquoi donc n’avait-il pas fermé sa gueule ? Bonne poire, aurait-il gratté la mauvaise corde et cueilli une pomme de discorde et d’histoires ?<br />Serpent par exemple, qui avait des antécédents avec cet aliment, aimait que les choses aillent en s’envenimant et ne se gênerait sûrement pas pour attiser la pagaille. Homme, que cette langue fourchue effrayait autant qu’elle lui répugnait, l’avait maintes fois répété : « Je me méfie de toi et de tes sornettes, perfide reptile qui siffle sur nos têtes, car tu as jadis causé ma perte. Mais tu ne perds rien pour attendre ta punition, mon p’tit Python ». De fait, Serpent aura été mille fois puni depuis, pourchassé par celui qui l’avait pris en grippe, pour son plus grand bad trip.<br />Ainsi, ses révélations pourraient avoir eu pour effet de faire jaser, de cristalliser les opinions à son sujet, déjà passablement passables au préalable. C’était se tirer une balle dans la patte : s’il contribuait à faire s’abattre sur Homme l’opprobre général, alors sa cause serait entendue et son client définitivement perdu. De peur de voir définitivement les mouches changer d’âne, il préparera son offensive prochaine pour ne pas qu’elle l’offensent aussi, les naines !<br /><br />Lion, comme à son habitude, tirera profit de ce quart-temps reposant pour faire un peu de tri dans les cartons de son esprit. Il faut dire que ce sera un joli bordel que l’intérieur de cette cervelle ! A croire que sa crinière ébouriffée sera l’exact reflet de sa cervicale cavité. Un amas gigantesque d’informations en tout genre s’y déplacera dans un fracas bourdonnant qui lui donnera l’impression qu’Abeille butinait le miel de ses oreilles. Ce sera éreintant que d’essayer de retenir le trop-plein de mots qui s’accrochaient à ses nouveaux organes vocaux. C’est pour ça qu’il passera tant de temps perdu dans ses pensées, car il aura beaucoup de travail à trier toutes ses idées.<br />De sa superbe d’antan ne restera que sa superbe crinière, toujours d’un imposant ! Les traits tirés, comme des rides de l’âge, son visage ne sera plus que fatigue et désarroi : il restera bien peu du prétendu roi. Il avait toujours reconnu le statut de privilégié d’Homme mais sans jamais faire le lien avec le divin. Que sa supériorité puisse être issue d’une farouche volonté divine et non du hasard de l’évolution n’aura jamais effleuré son intuition. Ce sera donc un véritable coup de poignard dans le dos, auquel il n’aura pas été du tout préparé, quel embarrassant fardeau ! Les doutes l’assailliront, comme souvent lorsqu’il se trouvait confronté à un fait sortant de sa réalité.<br /><br />La soirée sera alors déjà bien avancée sans que personne n’ait vraiment vu le temps passer. Seule la nuit, maintenant épaisse, sera le signe tangible que le temps continuait son cheminement vers l’avant, les rapprochant à chaque instant d’un néant imminent. Ce manque de repères temporels sera la signe évident d’un souffle spirituel qui, par l’intermédiaire du vent, balaiera la foule et pénétrera tous les êtres pour les déposer sur un autre route, les laissant tantôt atterrés, tantôt attirés, mais toujours envoûtés, ce qui contribuera évidemment fortement à cette intemporalité. Et ce sera autant l’intensité de la joute et la teneur des propos échangés que le caractère mystique des protagonistes et les longs silences en alternance qui captiveront cette foule bigarrée. Perdant tout sens de la mesure, il leur semblera que même l’espace prendra une dimension particulière car, avec les jeux d’ombre et les clairs-obscurs sur les murs lumineux, le décor prendra une toute autre tournure. L’atmosphère sera toujours brûlante, à cause de la température ambiante mais surtout du fait du mélange de tant de corps animaux et de tant de souffles chauds. L’assombrissement du ciel n’aura rien de naturel, car la nuit sera tombé comme la pluie quand elle veut mordre la rose, sans respecter l’ordre et le temps des choses, déphasante et déboussolante. Ce ne sera pas une question de visibilité, car, pour la majorité, ils pourront voir dans le noir. Ennemi de la sécurité, l’obscurité sera pour beaucoup d’espèces superstitieuses le signe annonciateur de malheurs à venir, ranimant la peur des mauvais souvenirs. Bien qu’âgé, Hibou s’élancera d’un jet, lestement, dans l’air noir de jais et il aura l’allure d’un oiseau de mauvais augure.<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-16956473180955953902007-02-15T07:49:00.000-08:002007-05-02T07:50:12.522-07:00Chapitre 11 : La violence pour ordonnanceUn inaudible coup de sifflet sonnera la reprise des hostilités. Ayant repris du souffle, quelques forces et reçu une lèche réconfortante de leur paire sparring-partner, les deux protagonistes reprendront place sur le ring. King en happening, brillant acteur et actif puncheur, Lion sera tourné vers son public, à la recherche de son soutien et de son maintien en apesanteur. A l’inverse, Chien, dogue en rogne et cependant en émoi devant l’aura du roi, tentera de se faire tout petit, ce qui lui sera très easy, vu qu’il avait un zizi rikiki. Et il aura de quoi être impressionné par ce Pygmallion, car, nabot à côté de Lion, le cabot aura tout bonnement l’air d’un pygmée.<br /><br /> Comme souvent dans ces cas-là, et spécialement dans un cadre comme celui-là, il est des événements imprévisibles qui pourtant laissent insensible. La reprise de la joute se verra à nouveau ajournée mais cette fois-ci par la totalité de la foule, qui, un temps paresseuse, se sera soudain faite très nerveuse. Ces creux récurrents dans le jeu des deux belligérants auront laissé assez de place à l’impatience et à l’agacement, d’autant que ces silences en leitmotiv auront un assez « light » motif. Cette accumulation de monologues intérieurs monotones n’aura pas laissé leurs homologues spectateurs atones. Une fois encore, ce sera la foire, la frénésie succédant à l’apathie. Altercations, prises à parti et disputes : il aura suffi qu’un seul dise « pute » pour que cela tourne au pugilat. <br /><br /> Qui n’eût pas sursauté à la vue d’un tumulte si bouillant entre adultes, dans un air chargé d’insultes ? Qui n’eût pas été outré de voir l’altercation entre Chien et Lion interrompue par cette belle cohue, par un tel tohu-bohu ? Mais non, ni Chien ni Lion ne piperont. Blasés, ils mettront d’instinct leur fierté de côté et, dans l’instant, ils rangeront leurs gants de boxe et rentreront dans leurs box. <br /><br /> Comportement étonnant de la part de Lion, qui aurait pu couvrir à lui seul ce vacarme détonnant de son incomparable rugissement. Mais les frictions croissantes au sein de cette assemblée constituante laisseront supposer à Rebelle Lion comme à Baby Lionne que le tant attendu allait arriver à temps. Pour elle, ces tensions dans l’assistance étaient la manifestation de renaissantes dissonances, à même de forger une armée de défense et d’avance, elle s’en lèchera les babines à la façon d’une gamine. La femme de Lion avait si longtemps rêvé de passer à l’action… C’était en effet un rêve récurrent, traversant nombre de cerveaux animaux, mais un rêve ô combien inaccessible contre cette maudite cible. Aucun plan d’action de grande envergure n’avait jamais été imaginé contre l’éminente figure. On peut pourtant penser qu’ils auraient pu renverser le dictateur dans un putsch où, tous réunis, ils auraient joué un rôle majeur pour la vie en la débarrassant de son plus grand ennemi. Mais la plupart des protagonistes avaient plus une âme d’artiste que de terroristes et bien peu étaient doués pour cet art qu’est la guerre, ce qui n’est guère une tare. Cette guerrière de Lionne, très encline à l’assaut, s’était naguère montrée fine pour mettre le lasso sur certains congénères et pour en faire des va-t-en-guerre. Et à vrai dire, si son mari, pressentant le carnage, n’avait su chaque fois retenir sa femme anthropophage et lui faire tourner la page, elle serait déjà maintes fois partie en croisade, ralliant çà et là à sa cause d’hardis camarades pour tenter de porter à Homme l’estocade. Oui mais Lionne, pour une rébellion, l’adhésion de Lion est une condition sine qua none ! <br /><br /> Une sorte d’aura couvrira cet être au trop long bras, et nul n’aura jamais sérieusement essayé de le destituer. Comme les galériens, condamnés à vie à ramer, voués à une inexorable mort et dont l’absolue majorité subit son sort sans broncher. L’inertie des victimes de cet empereur illégitime aura rendu plus défavorable le rapport de force, à mesure que l’un se développait et que les autres écopaient. Les pertes dans la biodiversité auront forcément contribué à affaiblir fortement l’adversité. Cette immobilité faisait que nombre les avaient déjà quittés et au regard des circonstances et de l’ambiance, beaucoup devront encore péricliter…<br /><br /> En effet, il est des cordes sensibles qu’il n’est pas bon trop gratter. Et visiblement, Chien aura joué une mauvaise arpège, faute d’avoir assez étudié le solfège : le voile levé sur les raisons de la naissance d’Homme aura le son grinçant d’un accord dissonant au sein d’une assemblée en plein désaccord. <br /><br /> Pour les domestiques, tout ça sera de l’ordre de l’anecdotique, puisqu’ils connaissaient le fin mot de l’histoire humaine, c’était quelque chose qu’ils avaient plus ou moins dans les gènes, d’où leur absence de gêne. Ceux-là verront plutôt dans le culot de Chien son éternel sens de la provocation prendre le dessus sur sa raison. Difficile de vraiment maîtriser sa parole quand elle vous est donnée, quand on découvre que l’on peut enfin exprimer tout ce que l’on veut. <br /><br /> Car pour tous les autres, en particulier pour les fervents « gagas de Gaïa », le fracas de la nouvelle ne s’arrêtera pas au simple tracas, ni même au franc embarras. Comme si le ciel leur tombait dessus, la fulgurance foudroyante de l’annonce sèmera une quinconce sans dessous ni dessus. Ils se sentiront doublement trahis : par les traîtres, mais ça, ils le savaient depuis longtemps et à la limite, leur surnom était comme une étiquette sur le front. Par contre, la trahison de Gaïa aura pour eux l’effet d’un coup de bambou sur la tête, et même Panda ne sera pas à la fête… S’ils avaient jusqu’alors vécu, contents, dans le confort que leur offrait leur appartement, leur mécontentement n’en sera que plus grand. Car si Gaïa leur avait donné vie et offert un cadre de vie idéal, sa trahison initiale signifiait qu’elle les avait trompée des milliers d’années durant en les laissant dans le mouroir de faire-valoir. Eux n’avaient donc été que d’anonymes privés de parole, tandis qu’Homme s’était vu offrir le premier rôle. L’ébranlement de leurs systèmes de croyance les plongera dans l’errance. Ce sera comme si leur foi avait été une drogue à l’accoutumance rassurante, et qu’ils entraient maintenant dans une crise de manque instantanée. <br /><br /> L’assemblée sera donc prise de spasmes et de tremblements et ce sera amusant de voir Phasme, agité comme une feuille par le vent de l’énervement. Le phénomène de foule est bien connu, et il en va pareil chez les humains et chez les animaux : les réactions qui suivront seront irrationnelles, passionnelles et pas vraiment belles. Comme les sportifs pour éviter la défaite, comme certains pendant la fête, ils sembleront comme sous amphèt’. Koala sera parmi les rares que les convulsions épargneront. Le voisin de Kangourou aura prévu le coup et la came pour garder tout son calme. Il aura dans sa musette de l’eucalyptus en abondance, sa douce drogue, à consommer de préférence en quatre-feuilles ou en grog.<br /><br /> De la crise de manque à la violence, il n’y a qu’un pas, que s’apprêteront donc à franchir ces émissaires dont la préoccupation première sera pour les uns de trouver des bouc-émissaires, pour ces derniers de se sortir d’affaire. La colère des habitants de Terre risquera d’être sévère. <br />Et comme souvent dans ces cas-là, elle ne se portera pas sur son objet réel, Gaïa, mais sur l’apporteur de mauvaise nouvelle. Les traîtres ne se trouveront guère à l’aise et les regards hostiles qui fuseront ne seront pas du genre qui apaise, diffusant chez eux un certain malaise. Les traîtres se sentiront bientôt comme sur un radeau à l’abandon, les visages environnants ne laissant rien envisager de bon. Chien le premier se sentira visé par ces regards acérés et furtifs, explosifs comme des pétards. Il considèrera l’attitude peu amène de Lapin De Garenne avec une certaine inquiétude : celui-ci le toisait de biais, dans une posture plus qu’équivoque, carrément provoc’ ! Pas du genre lèche-bottes, il mangeait ses propres crottes, riches en vitamines et en bactéries, une sorte de gandhi. Ce sera sa façon à lui de faire sentir à Chien à quel point il l’emmerdait, à quel point il le faisait chier. Cette manière roturière était chez De Garenne une manie osée, permettant aussi la survie en ces temps de jeun forcé. Malin, ce Lapin ! <br /><br /> Le sol tremblera sous le martèlement des pieds, l’air vibrera sous le vrombissement des ailes et l’eau sera comme dans une baignoire, rendue tumultueuse par le battement des nageoires. Chez les sauvages, même les plus sages sembleront prêts à tous les carnages, car la rage en eux bouillira sans détours, comme leur sang, qui ne fera qu’un tour. Leur seule intention à cet instant ne sera que de faire taire ces traîtres : fermer la gueule de Chien, mais aussi clouer le bec de Poule et garder Vache silencieuse, car vachement ennuyeuse. <br />Ceux-ci ne seront pas en reste, car leur bestialité se trouvera renforcée au sortir de la sieste. Bien remontés contre les sauvages, qui n’auront pas l’apanage de la rage, bien démontés aussi par cette assommant assemblage de personnages qui ressemblera à un tournage, les traîtres s’apprêteront à faire sans ambages l’étalage des rouages du saccage. La violence domestique est ce que l’on sait après le mariage avec un alcoolique ou lorsqu’on a la rage : elle fait des ravages. Car malgré leur infériorité terrienne, aérienne et navale, les traîtres seront résolus à vendre chèrement leur peau et il y aura parmi eux de jolis morceaux, comme Cheval, qui ne sera pas en rade avec ses ruades. Paradoxalement, s’il est une chose qu’on ne pourra reprocher à ces renégats, ce sera leur fidélité et leur dévouement à tout va. Voilà qu’ils seront prêts à s’immoler sur l’autel du procès, à se sacrifier pour l’hominidé.<br /> <br /> Les rancœurs et les inhibitions sembleront avoir eu raison des bonnes intentions. Quel dommage que cette assemblée de mages en puissance finisse comme ça, passant à côté d’un vibrant hommage. L’intervention d’un diable virtuel aura-t-elle rendu ce procès inextricable et ce duel irrémédiable ?tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-45833657229094929742007-02-13T07:51:00.000-08:002007-05-02T07:51:13.407-07:00Chapitre 12 : L'amour, l'appât pour la paix<div style="text-align: justify;"> Il y a des fois où la loi du plus fort est la plus forte et où l’instinct reprend le dessus haut la main. Ce face-à-face n’aura pas la façade d’une mascarade et ressemblera assurément aux prémisses d’un affrontement de rang.<br /><br />Lion contemplera, l’air étrangement méditant et vaguement épaté, l’agitation qui régnait à ses pattes et il se sentira quelque peu dans le pâté. Etait-ce ça qu’il avait si longtemps voulu, tant attendu ? Maintenant il n’en sera plus aussi sûr, au moment même où il faudra qu’il assure. S’entredéchirer n’allait à coup sûr rien arranger, au contraire tout ne ferait qu’empirer… Et pourtant, lui le premier aurait aimé quitter son rocher, bondir de la scène sur le public et prendre part à cette bagarre obscène autant qu’épique, surtout avec les piques de Porc-Épic.<br /><br />Mais non ! Si l’assemblée perdait ne serait-ce qu’un seul élément, tout ce procès n’aurait été qu’un non-événement ! Il ne pouvait sérieusement courir le risque de laisser partir une rixe. Il avait promis de maîtriser ses nerfs d’airain et il ne fallait pas qu’il perde du terrain. Prenant au sérieux son rôle de métronome de Terre, il prendra aussi conscience que cela ne serait qu’une obole à Homme, une aumône supplémentaire. Il fallait faire quelque chose d’extraordinaire avant que les choses ne dégénèrent, car malgré leur statut d’émissaires, les uns contre les autres ils se prépareront tous à partir en guerre.<br /><br />Tous ? Non, car deux phénomènes échapperont à l’emprise de la haine. Les deux Bonobos, bobos parmi les animaux, feront exception, préférant substituer la copulation à l’agression. Forniquant impudiquement, ils s’enverront en l’air impunément. Comme si le salut de ces salauds pouvait venir d’en haut... Alors, dans une subite illumination, Lion le voyeur trouvera dans l’union de ces deux cœurs et de ces deux corps la solution lui venant en renfort. Une partie de fesses, voilà ce qu’il fallait qu’ils fassent, voilà comment ils allaient sortir de l’impasse dans laquelle était plongé ce procès ! La certitude et le soulagement s’empareront de lui en même temps, lui rendant tout son allant. De la voix la plus forte qu’il pourra, il rugira à l’emporte-voix :<br /><br />- Allons, allons, mesdames et messieurs ! Un peu de calme, baissez vos armes ! Laissons donc tomber ces tensions qui nous rongent, voyons! Nous nous comportons exactement comme le souhaite Homme ! Car voilà ce qu’il veut : que l’on s’entredéchire, que l’on s’entretue et ce, pour son plus grand plaisir ! Et il a bien failli réussir son coup, le filou ! Il a toujours fait en sorte de diviser pour mieux régner. Pourquoi a-t-il exigé de Gaïa des domestiques si ce n’est pour créer d’emblée des relations communautaires délétères sur Terre ? C’est son moyen à lui de maintenir sur nous tous son pouvoir puritain et un peu ricain et par là-même de nous imposer un avenir tout sauf pur et sain, un futur qui tousse. Devrons-nous encore longtemps l’accompagner dans son œuvre maléfique avec compagnes et enfants ? Cela ne se passera pas comme ça ! Non, nous ne nous laisserons pas ce fou de polichinelle brûler la chandelle par les deux bouts !<br /><br />- You’re right, man ! That’s the anthem : fuck the human system ! lancera ce faux-cul de Phoque en soufflant de manière loufoque, car il suffoquera dans cette fournaise, lui qui préfèrera la VO, anglaise, à l’espéranto des animaux.<br /><br />En voyant un de ses bons fans abonder ainsi en son sens, Lion recouvrera encore de son aisance. Et avant que celle-ci ne s’égare sans crier gare, c’est avec une authentique mauvaise foi et peu d’égard pour les espèces animales domestiques, qu’il poursuivra, partial et caustique :<br /><br />- Traîtres, je vous vois prêts à vous battre contre vos frères et vos cousins mais c’est pour le bien d’un ennemi commun ! Quel sortilège peut bien vous avoir lancé Homme pour que suiviez de si mauvais cortèges et que vous tombiez ainsi dans son piège ? Vous n’avez plus aujourd’hui le choix de la position, c’est avec nous dans l’émancipation ou contre nous dans l’opposition, sans plus d’options. Car Homme vient de faire montre de son plus grand talent : même absent, ce faux prophète sait être présent dans toutes nos têtes. Quelle plus belle preuve qu’il nous met à l’épreuve ? Nous l’avons dit et répété, les ravages de cet être peu sage sont pour vous domestiqués comme pour nous sauvages, un trop fréquent orage : il est grand temps de tourner la page ! Si nous voulons sauver notre peau, il va falloir se jeter à l’eau, se mouiller pour stopper cette pluie de malheurs et redonner au ciel de sa couleur. Ce procès n’a que trop tergiversé et nous avons assez versé dans l’excès. Certes, beaucoup de choses nous opposent mais je pose comme objectif que nous retrouvions notre collectif dans l’osmose. Il ne faut pas se tromper de destin : nous sommes des animaux, pas des humains ! Vu l’urgence de la situation, il faut avant tout penser à l’action. Nous n’avons pas le temps de trouver des circonstances atténuantes à accorder. Je vous invite donc à prendre exemple sur le couple Bonobos, ces coquins nous montrent le chemin : réglons nos conflits par l’amour et non par la haine, par l’union et non par la peine ! Certes il y a des différences entre nous. Excusez si je vexe mais, bêtes de somme ou bête de sexe, nous sommes tous des bêtes, en somme. Et il est l’heure de montrer notre valeur ! Je connais votre état d’esprit, c’est peu ou prou le même pour tous les partis. Nous sommes tous agités, fatigués par cette rude soirée. Je propose donc, puisque nous sommes ici en couples assemblés, que nous nous laissions aller à quelques instants d’intimité et que nous profitions d’un peu de douceur pour nous retrouver et évacuer vers l’extérieur les tensions qui nous rongent de l’intérieur. Sortez vos atours, faisons l’amour en l’honneur de ce bon jour ! Qu’il reste à jamais gravé dans la roche de Terre comme celui qui vit renaître l’entente animale entre sauvages et traîtres. Celui aussi qui, je l’espère, nous verra sauvés d’Homme et de ses éclairs de génie d’enfer. A vos partenaires, prêts, partez !<br /><br />Beaucoup l’auront écouté commencer son discours avec regret : alors qu’ils allaient enfin pouvoir en venir aux mains, voilà que le festin prenait fin… Mais avec sa méthode démago, par ces simples mots imagés, sa métaphore filée, il aura su les empêcher de tomber dans le précipice du vice et les inciter à signer l’armistice. Et quel bel armistice en vérité !<br />On pourrait s’indigner de voir soudain cette solennelle assemblée se transformer en bordel généralisé. Certes, ça pourra passer pour un manque de respect, mais il ne faudra pas s’arrêter au premier aspect. Ce sera leur première occasion de se distraire dans cette affaire, alors personne ne se fera prier pour copuler. C’est qu’ils auront bien besoin de douceur, tous ces acteurs ! Par ailleurs, qui ignore que l’amour adoucit les mœurs et radoucit les cœurs ? Et un refrain commun leur traversera l’esprit : « Après tout, oui, c’est la vie ! Profitons-en, si on n’est là que pour un court moment : tirer sa crampe revient à botter le cul de la mort en chantant ! » Et Cerf se fera déjà une joie de lui faire la nique d’une ruade magnifique et rien qu’à cette idée, son brame rauque aura un air baroque de musique classique.s<br /><br />La scène obscène qui suivra dépassera évidemment toutes les autres en intensité et en originalité. Car un voyeur eût été tout bonheur, tout à son aise dans cette fournaise où tout le monde s’en donnera à cœur joie dans la baise ! Les corps en effort ajouteront forcément quelques degrés encore à la température du décor.<br /><br />Baleine Bleue, le plus grand des habitants, sera aussi celui qui prenait le plus grand emplacement, au grand désarroi de Plancton, son nain de voisin, qui devra se serrer les coudes pour donner des coups de reins tout en évitant d’être aspiré dans la bouche béante de cette géante de cétacé. Baleine mâle, lui, aura pas mal de veine : d’une part, il pourra régler sa flottaison grâce à sa poche à spermaceti, ce qui lui assurera en permanence une position optimale et d’autre part, n’ayant pas là de concurrence pour séduire sa reine favorite et assurer sa descendance, il n’aura pas à se soucier d’y passer le dernier avec sa queue hors-norme et son énorme quantité de sperme afin de purger les semences précédemment laissées.<br /><br />Vérifiant étonnamment bien les propos de Lion et le bien-fondé des habitudes Bonobos, la météo se retrouvera fixé au beau et l’atmosphère se fera petit à petit plus légère. Tout sera dit et fait sans détours et la gaieté sera rapidement de retour, comme si tout était oublié. L’osmose virera même à la symbiose, comme si tous étaient soudain liés comme Raie et Rémora, comme si la seule certitude contre les vicissitudes de la vie résidait dans l’essentielle interdépendance, contre les différences et les divergences. Une vague d’amour irrésistible les aura saisi par surprise et sans retour possible : envers et contre tout, cette ferme prise les emportera tous, fermant la porte à tout revirement de quelque sorte. <br />Révélateur de cette bonne humeur, Esturgeon, qui, après la chose, n’était pas du genre morose et plutôt pro de la prose, s’écriera de tout son cœur, tout en sueur :<br /><br />- Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette soirée aura été torride, et dans tous les sens du terme !<br /><br />Comme attendu, ce bide ne laissera pas place à un vide et, saisissant la perche caviar tendue par Esturgeon, Poisson Clown ne pourra s’empêcher de railler :<br /><br />- Vous parlez d’une soirée sympathique… Figurez-vous que j’ai failli me faire assommer par Baleine quand il a sorti son automatique… Je croyais qu’on faisait ça à des fins pacifiques ?<br /><br />Pendant qu’il pouffera comme un môme, sa victime rira jaune. Vexée mais pas du genre à rétorquer, Baleine glissera ces quelques mots banaux avant de disparaître sous l’eau :<br /><br />- Ah, c’est assez ! J’ai le dos fin… Je me cache à l’eau.<br /><br />Et comme un seul animal, toute l’assemblée, des premiers rangs jusqu’à ceux du fond, entrera en fusion, simplement avec l’impression d’avoir choisi la bonne solution. Cet événement entrera bien évidemment dans les annales de l’histoire animale. Dans l’ultime bastion de la rébellion sur Terre aura trouvé refuge le seul et unique subterfuge à la crise de nerf : la biodiversité une et entière, moins une.<br />Ce gala aura sonné le glas de ce procès, procès qu’Homme aura perdu haut la main bien que Chien ait fait son maximum. Mais peut-on vraiment s’attendre à autre chose qu’un si bas préjudice avec un avocat commis d’office ? Celui-ci n’aura pas vaincu, car pas assez convaincu. Et en compagnie de ses suivants, il sera rentré dans le rang.<br /><br />C’est alors que Rebelle Lion, grognon, finissant sa besogne à l’instant suite à un léger contretemps, poussera un râle colossal, signal que l’unanimité régnait au sein du règne animal. L’acoustique aidant, cet appel officiel et retentissant au secours se propagera dans toutes les directions aux alentours.<br /><br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-41359156044344792722007-02-11T07:53:00.000-08:002007-05-02T07:52:43.171-07:00Chapitre 13 : Changement 2 Dimensions<div style="text-align: justify;"> Alors que l’histoire aura jusqu’ici été de l’ordre de l’ordinaire, elle ira dès lors crescendo et prendra une tournure sans cesse plus sensass. Pendant que ces animaux prendront un repos bien mérité, Gaïa sera à son tour en plein procès. Tandis que se jouera l’avenir d’Homme aux confins de la planète Terre, et on a vu de quelle manière, celui de Gaïa se jouera au fin fond des cieux, bien loin des yeux vicieux et des oreilles indiscrètes. Au moment même où elle se présentait devant les membres du Conseil de Sécurité, le cri du cœur de Lion parviendra jusqu’à leurs oreilles. Composé de tous les super-organismes régissant les planètes, des esprits supplantant les êtres, et présidé par Univers, il l’avait cité à comparaître. Gaïa, l’esprit de Terre, sera, elle aussi, jugée par ses pairs.<br /><br />Jadis en effet, chacun s’était vu confier par Univers une mission impossible au premier quidam : damer le pion au néant en manageant une planète contre vents et tempêtes. Chacun selon ses talents et son agilité avait jadis modelé à sa guise son bloc d’argile, et à ce jeu-là, Gaïa s’était montré la plus habile. Car quelle stature avait sa sculpture, quel air avait sa statue circulaire !<br />Elle vivait sous une bonne étoile et surpassait les autres esprits dans l’imagination et la créativité. Sa réalisation, Terre, était une merveille sans pareille, à la jolie topographie, aux climats équilibrés, mais surtout à la fourmillante activité. Car toutes les planètes ne pouvaient se targuer d’abriter la vie et nombre d’esprits habitaient une morte planète en errance, où ils menaient une morne existence. Pour autant, il y avait d’autres belles réalisations parmi les vues des esprits et les vies extraterrestres n’étaient pas une vue de l’esprit. Certes, nulle n’abritait la biodiversité citée dans les chapitres précédents, mais certaines atteignaient tout de même un niveau de vie décent.<br />Mais vraiment, ce qu’avait fait Gaïa avait de quoi rendre baba et laisser bouche bée. Elle aura toujours recueilli l’admiration de tous pour la dextérité avec laquelle elle avait sculpté Terre et tous les membres du Conseil de Sécurité auraient souhaité y habiter. Nulle part ailleurs dans l’espace infini, une planète n’avait une telle classe, n’était à ce point finie, léchée, fignolée.<br /><br />Ainsi la naissance de la vie n’avait-elle rien à voir avec la théorie de la panspermie, selon laquelle la vie est un élément fondamental d’Univers et a toujours existé, se développant en masse sur les planètes à partir de gamètes venus de l’espace. De fait se trouvera vérifiée l’idée de la génération spontanée, selon laquelle la vie a émergé sur Terre, verte, à partir de la matière inerte. A ceci près que l’élément fondateur avait avant tout été l’art et la manière de faire d’une planète morte et ennuyeuse un passionnant lieu habité, agité par une vie forte et regorgeant d’énergie.<br />Art et essais permettaient aux meilleurs cortex, avec expérience et talent, de forger des mondes d’autant plus envoûtant qu’ils étaient complexes. Et les esprits qui réussissaient à créer des espèces vivantes et intelligentes se voyaient de leur propre aveu élevés au rang de dieux, ce qui n’était pas peu. A l’inverse, les cancres de la création vivaient aux crochets de sinistres contrées et n’avaient à leur entretien que d’acres atmosphères et des terres stériles, avec une vie bien difficile.<br /><br />Au sein du cosmos, l’osmose régnait par la force, car toutes les planètes n’étaient pas logées à la même enseigne, et elles étaient sous le règne d’un Univers au pouvoir sans précédent sur ses composants, vu ses antécédents et sa taille de géant. Même à l’échelon suprême, tout était régi par le système.<br />A la gauche d’Univers, Gaïa sera très respectée de tous les membres du Conseil et ne se sentira pas dans la peau d’une inculpée, car elle jouissait d’un statut particulier. Ce sera bien à regret qu’ils l’auront convoqué, car donner au premier de la classe le bonnet d’âne aura quelque chose de profane. Mais il sera aussi considéré en haut-lieu qu’il y avait lieu de faire quelque chose, qu’il était enfin temps car ces temps-ci, la vie n’y avait rien de rose. Terre était vraiment en bad et Gaïa en était malade. Et quand Terre-de-Fer souffrait sous les lames des armes, Gaïa–la-Gaillarde versait les larmes propres aux âmes. Si Terre était le plus bel astre, ça ne l’empêchait pas de courir le risque du désastre. Les plus beaux éléments sont aussi ceux qui s’abîment le plus facilement.<br />C’est pourquoi le Conseil de Sécurité prendra les choses en main : le droit inaliénable de ces « Star Spirits » à disposer d’eux-mêmes avaient tout de même des limites. En cas d’urgence, il se devait de réfléchir voire d’intervenir, prenant le risque de l’ingérence. Son rôle était de préserver les différentes créations, qui, dans un Univers en perpétuelle évolution, contribuaient à son expansion.<br /><br />Voilà donc que Gaïa sera au cœur de toutes les humeurs, de toutes les rumeurs. Elle avait bel et bien fauté et Terre était de ce fait bien amochée, mais pas un conseiller n’aurait songé le lui reprocher. Car nul ne tenait à voir péricliter cette trouvaille d’ingéniosité, fruit de milliards d’années de travail d’arrache-pied : l’écrin des étoiles recelait en son sein des joyaux animaux, des espèces vivantes exceptionnelles, classées au patrimoine universel.<br /><br />Univers, à l’instar de Lion sur Terre, dirigera les propos dans les airs, comme son statut lui imposait de le faire, écouté comme quelqu’un qu’on respecte par ce conseil de spectres.<br /><br />- Comme l’a rappelé l’assemblée animale plus bas et auparavant, l’état de Terre est atterrant ! C’est pourquoi nous voilà ici réunis. Cette planète est en train de mourir, frappée en plein cœur de l’intérieur et non de l’extérieur.<br /><br />Pour protéger sa planète des comètes, des astéroïdes et autres météorites, Gaïa l’avait entourée d’un barrière à la consistance particulière : l’atmosphère. Composée d’oxygène, d’azote, de dioxyde de carbone, d’ozone et autres gaz rares, ce mélange détonant désintégrait systématiquement tous les intrus épars, venus d’on ne sait où et qui tentaient de forcer le verrou. Réduits le plus souvent en d’innocentes poussières, ils retombaient sur Terre tels des feuilles mortes, avant que le vent ne les emporte. Certes, ce bouclier n’avait pas empêché quelques météorites de grande taille de passer, celles qui avaient trouvé la faille. Mais Terre avait jusqu’ici été plutôt épargnée, protégée qu’elle était par Jupiter qui, grâce à sa grande force d’attraction, rejetait cette matière en suspension, indésirable car non digérable, hors du système solaire. Par manque de prévoyance, nombre de ses consœurs n’avaient pas eu cette chance : constamment criblés de ces balles au tireur inconnu, elles pouvaient à tout moment, c’était attendu, succomber, perdre la face et être effacées de la carte faute d’une protection efficace.<br />Finalement, la mort d’un astre de cette manière était quelque chose de bien banal, c’était loin d’être un mal pour Univers. Il fallait bien qu’il se rénovât, c’est aussi pourquoi existaient les supernovas, ces mamies-étoile en phase terminale, implosant en dégageant une énergie considérable ainsi qu’une grande partie de la matière stellaire qu’elles avaient élaborées pendant leur vie. Vie et mort étaient intimement liées comme le Yin et le Yang, car Univers aussi était né de l’explosion originelle, qu’on appelle Big Bang.<br /><br />Là, on ne pourra s’empêcher de penser qu’ils étaient dans le vrai : elle n’aura rien de naturelle et tout d’artificielle, cette autodestruction, le verdict était sans appel. Echappant aux lois de l’espace, à toutes les tenaces tentatives d’explication, cette déliquescence sera une menace de la pire espèce. C’est pourquoi la mort annoncée de Terre provoquera un tel brans le bas de combat ici-haut et là-bas-bas. Le principal sera donc de sauver ces espèces animales réunies en tribunal, condamnant indirectement les végétaux, dommages collatéraux tout trouvés, ce à quoi aucun membre du Conseil de Sécurité n’aurait pensé opposer son veto. A l’exception de Palétuvier, arbre aux pieds mobiles et capable de déplacement, ainsi que des plantes vivant sur le lieu du rassemblement, aucun autre végétal n’aurait pu être présent. Réunir une telle collection botanique eût été trop compliqué, sauver cet autre trésor qu’est la flore utopique. Mais de toute manière, Gaïa, en bonne jardinière, avait toutes les graines nécessaires pour reverdir une autre terre.<br /><br />Toute cette faune nombreuse et réunie en un seul lieu constituait un échantillon complet de ce qui restait et de ce qui devait être préservé. Cependant, le temps qui défilait sur Terre jouait contre tous en augmentant le risque de voir les émissaires, à bout de nerf, se disputer et s’entredévorer. Devant le risque de destruction de ce patrimoine, le Conseil de Sécurité s’apprêtera à prendre les dispositions idoines.<br />Aux grands maux les grands remèdes, il faudra qu’à son tour Univers plaide :<br /><br />- Le bateau Terre est en flamme, et le seul moyen de faire des rescapés, c’est d’envoyer un radeau de détresse pour recueillir ces naufragés. La piteuse Terre ne sera bientôt plus, et, si cela nous brise tous le cœur de voir brûler l’immeuble, ça ne doit pas nous empêcher d’agir et de sauver les meubles. Il est temps aussi d’offrir à Gaïa et tous ses futurs sans-abris un lieu de vie neuf, un autre pied-à-terre, un nouveau terreau, une Terre autre. Cette intervention in extremis n’est de sa nouvelle vie que le prémisse. Ainsi, une deuxième fois sur l’ouvrage elle devra remettre son métier, car elle a manifestement fauté. Cette humaine créature était une erreur de la nature. C’est dans un autre endroit que Gaïa renaîtra de ses cendres, il n’est à présent plus temps d’attendre. Telle est la décision du Conseil, elle est sans pareille : bientôt il faudra qu’elle appareille, qu’elle conduise l’exode pour arriver en Terre Promise, pour enfin reconstruire selon son mode et à sa guise. Mais il faut qu’elle ait conscience que cette deuxième chance est une faveur, une preuve de confiance, et qu’il n’y en aura pas d’autre en cas de malheur.<br /><br />Puis s’adressant directement à la concernée, lui indiquant l’étendue qui s’offrira à leur vue :<br /><br />- Tu connais d’instinct le chemin que tu emprunteras demain. Mais avant de quitter le Conseil de Sécurité puis de quitter Terre, embrasse une dernière fois du regard ton futur ex-système solaire : jette donc un dernier coup d’œil sur Soleil, qui t’a bien aidé à faire ta merveille, sur Mercure, dont tu n’as jamais eu cure, sur Vénus, ta petite puce, sur Mars, à qui tu aimais tant faire des farces, sur le groupe d’astéroïdes, planète ratée comme ton androïde, sur Jupiter, protectrice de ta matrice Terre, sur Saturne, à qui tu as souvent cassé les burnes, sur Uranus, à propos de laquelle je ne ferais pas de commentaires, sur Neptune, la copine de Lune, sur Pluton, avec qui tu n’as jamais eu un semblant de conversation et enfin sur Sedna et son acné, faite de multiples Etnas… Ton erreur a été d’ignorer tes voisines, de ne pas avoir tenu compte de leurs conseils qui n’étaient pour toi que comptines, de ne pas avoir écouté les avertissements de ton environnement quand il en était encore temps. Elles aussi ont par le passé abrité la vie, mais tu n’as pas cru en leur expérience à cause de quoi Terre connaîtra bientôt la déchéance. Elle restait la seule planète vivante du secteur, il n’y en aura plus dans quelques heures… On n’apprend pas que du local ; du global aussi tu dois t’inspirer. Car tu es à la fois à la tête d’une planète et un maillon d’Univers, auquel tu ne peux tenir tête. Si tu ne veux pas gâcher ton dernier jeton, privilégie l’intégration. Ne te disperses pas, fais attention : tu as pour toi un capital vie sans comparaison mais une assurance tout risques à consommer avec modération, alors ne te lance pas dans de dangereuses créations. Voilà ce qu’Univers pouvait te faire comme recommandations, tout le reste est maintenant de ton rayon. <br /><br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-53915060549070760102007-02-09T07:55:00.000-08:002007-05-02T07:55:12.100-07:00Chapitre 14 : De retour sur TerreLa tête pleine d’images et de paroles tout sauf en l’air, Gaïa redescendra alors sur Terre en sachant exactement ce qu’il lui restait à faire. La foule animale sera presque dans l’état où on l’avait quitté : les artistes se trouveront juste un peu dépités sur la piste : post coïtum, animal triste. Mais, enfin en paix, ils se sentiront aussi plus légers, vidés, libérés et ils s’en remettront au patron. A la belle étoile, les têtes dressées, ils auront vu se lever le voile de la guerre qui les avait auparavant aveuglé et c’est avec l’agréable impression d’avoir lâché du lest qu’ils contempleront la voûte céleste. <br /><br /> Ce qui aura avant tout de l’importance, c’est que toutes les tensions et les violences, il y a peu encore à leur comble, seront retournées dans les combles grâce ou à cause de cette drôle de pause, laissant la place à une imprévisible osmose, les laissant tous de glace, sur pause. Pour eux, le temps se sera arrêté le temps d’un ardent baiser au clair de lune, et tous les compteurs auront été remis à zéro simultanément par le médiateur Eros. Bien aidés par ce remontant typique qu’est la nique, les sauvages auront intégralement digéré la trahison initiale, quant aux domestiques, ils se seront émancipés de l’esclavage mental auquel les astreignait leur mentor et admis, cette fois, qu’ils avaient été dans le tort.<br /><br /> Même Lion, aux mèches et à l’esprit rebelles, se montrera docile devant Gaïa et son apparition surnaturelle. Après tout ce qu’ils avaient pu voir en cette soirée, ce n’était pas sa discrète arrivée qui aurait pu les étonner. Etre intangible, ayant toujours fait le choix de rester invisible et étant du genre qui s’entête, elle ne se manifestera à eux qu’à travers une petite voix présente dans toutes les têtes, dans cette langue universelle, dont ils avaient découvert qu’elle était innée à tous les êtres vivants qu’elle avait engendrée. Gaïa, qui sentira peser sur ses épaules l’avenir de cette faune d’entre deux pôles, se sentira rassurée par cette vue sans pour autant voir sa tâche assurée. La tempête qui avait ébranlé tous ces sujets avec tant de tranquillité laissera tout de même supposer un chantier facilité. On aura tour à tour entendu le procureur, l’avocat et les jurés, restera au juge suprême de cette cour, Gaïa, à se prononcer. Prenant Taureau par les cornes, elle s’adressera silencieusement à cette assemblée à l’œil morne :<br /><br /> - J’ai cru un temps que vous n’aviez rien compris. Je ne vous ai pas réuni ici aujourd’hui pour que vous vous querelliez mais pour que vous vous rebelliez. Je ne vous ai pas réuni ici pour vous regarder jacasser, jacter, vous voir vous chamailler, vous encanailler, mais pour que d’Homme vous fassiez le procès ! Au lieu de cela, comme Brebis, vous vous êtes égarés en chemin, éludant la question numéro un, pour vous préoccuper de tout un secondaire tintouin. Même toi, Lion, tu n’as pas su mettre de côté tes rancœurs, résolution qui pourtant te tenait à cœur. La communication a du bon, mais à outrance, elle laisse un goût rance dans les bouches et bouche les perspectives de compréhension. Vous n’êtes pas faits pour vous exprimer et vous l’avez joliment démontré. Malgré les bonnes intentions de départ, vous avez eu du mal à oublier ou accepter vos différents. Je tenais à voir enfin en vous des animaux debout, dignes de tout : manger, boire ou tirer leur coup ! Dieu merci, vous ne vous êtes pas entredévorés, de l’eau vous n’avez pu abuser, et vous vous êtes donc décidé pour la dernière des possibilités. C’est ce qui vous a sauvé ! Car vos palabres auraient pu vous mener à une fin macabre. Heureusement vous semblez désormais avoir trouvé l’union et pris la bonne décision. Je suis flattée de constater que ce qui vous a tous réuni est ce qui mâle et femelle unit. Pas mal ! Au final, la raison d’être de la vie a eu raison de vos incompréhensions pour vous permettre de vous sauver la vie. Puisque la culpabilité humaine ne fait plus aucun doute, puisque vous vous êtes ligués contre lui tous et toutes, il nous faut nous sortir de là coûte que coûte. L’apparition d’Homme au cours de la création fut une aberration, une trop grande ambition synonyme de perdition. Notre malheur fut mon erreur, et nous sommes tous dans le même sac à cette heure ! Nous ne pouvons plus vivre sans cesse dans la peur d’un fléau destructeur de trop grande ampleur. Moi non plus, je n’en peux plus de voir chaque jour Terre se dégrader un peu plus. De dépit devant vos récurrentes prises de bec, j’ai failli laisser brûler votre logis et vous avec. Mais si pour Terre, il n’y a plus rien à faire, en ce qui vous concerne en revanche, il y a du pain sur la planche. C’est pourquoi j’ai décidé de renier Homme, mon fils, mon plus beau fruit, mais aussi le plus pourri et de le laisser s’enterrer sur Terre avec le reste de la vie tandis que je vous la sauverai. Cet ostracisme à l’envers passera peut-être pour un acte de racisme, mais il sera salutaire. Vous tous ici présents serez les graines que je sèmerais dans un nouveau champ afin que de plus belle la vie reprenne et avec elle, les chants ! Des heures meilleures nous attendent, mais ailleurs. <br /><br /> Comme pour signer cet accord, comme si Gaïa avait lâché la corde, telle une flèche, l’arche se pointera, et l’instant suivant, elle sera là, plantée au milieu du décor. Pas tout à fait grotesque en un décor si dantesque, cette œuvre titanesque aura des dimensions gigantesques, des flancs flanqués de fresques et d’arabesques ainsi qu’une contenance suffisante pour accueillir toutes les espèces, ou presque. La nouvelle venue ne sera pas une inconnue, jouissant d’une célébrité exceptionnelle, avec son air de vaisseau voilé aux larges ailes, taillé pour la célérité, comme Gazelle. Zélée s’il en est, elle avait autrefois sauvé des hommes et des animaux des eaux. Depuis sa dernière sortie, elle était restée, à l’arrêt, sur les arêtes du sommet d’Ararat, là où les eaux du Déluge l’avaient déposées lorsqu’elles s’étaient retirées. Longtemps prisonnière des glaces, elle en avait été libérée grâce à la fonte de celles-ci, à mesure que le climat s’était radouci. Après des milliers d’années d’inactivité, l’arche de Noé, reprendra du service, et d’arrache-pied ! <br />Il avait fallu un canoë à Noé pour éviter la noyade, il faudra un vaisseau à tous ces animaux pour échapper à la débandade, un avion afin que Lion et ses compagnons ne prennent pas le bouillon. Et si ce bateau volant n’aura, cette fois-ci, pas de place pour les représentants de l’humanité, ceci n’aura rien de très étonnant. <br /><br />Devant ces portes grandes ouvertes, c’est somme toute en toute logique que l’ensemble de ces espèces zoologiques embarquera d’un pas décidé et un peu académique. L’urgence et l’esprit grégaire auront pris le pas sur la prudence, sur les dernières réticences et devant l’imminence du danger, l’unanimité régnera chez les nomades comme chez les sédentaires de Terre. Cette incessante sensation de sursis les aura poussé à se mettre au plus vite à l’abri. Chacun aura finalement depuis longtemps renoncé à l’espoir d’y voir un nouveau soir, cessé de croire que celle qui avait été à la fois leur mangeoire leur abreuvoir et leur dortoir était seulement en phase transitoire et, à leur grand désespoir, commencé à l’envisager en tant que mouroir. Il n’y aura plus guère de mystère, il leur faudra quitter Terre. <br /><br /> Alors que, comme les autres membres de la réunion, il fera la queue pour pénétrer l’appareil, l’élément moteur et grand vainqueur de cette rébellion, Rebelle Lion, entendra Gaïa lui souffler à l’oreille :<br /><br /> - Du reste, Lion, tu as joué à merveille ton rôle de maître de réunion et de cérémonie et je t’en remercie. Je ne serai pas prolixe envers un diplomate si émérite car avoir évité la rixe ne fut pas le moindre de tes mérites. J’ai craint un instant de perdre la biodiversité que j’aime tant. Avoir su si bien calmer les ardeurs est tout à ton honneur de commandeur. Il en fallait un pour mener à bien ce dessein et ce fut toi, sans que j’ai eu besoin de te faire un dessin, car tel était ton destin : des animaux tu es bel et bien le roi ! L’impartialité n’est pas chose aisée et de ta tâche tu as finalement su t’acquitter avec l’honnêteté dont tu es coutumier. Ton statut fut par le passé contesté sur Terre par qui-tu-sais, qui a fait plus que te tester et t’a fait mal, mais à l’avenir, tu seras au quartier général le premier animal. Et ce n’est pas cher payé pour le sherpa que tu as été. <br />Sans le savoir ou sans l’avoir encore réalisé, vous tous avez ici conçus les futurs immigrés de deuxième génération, ceux-là même à qui vous venez d’éviter le grand plongeon. Grâce à toi, grâce à ta foi et à ton inspiration, ces embryons encore en gestation trouveront à leur naissance une vie pleine de sens et un autre horizon, et tous auront pour toi de la reconnaissance. Maintenant, rentre à ton tour dans cette arche et guide ton peuple dans sa longue marche. Je vous emmène en bateau et mènerai la barque jusqu’à ce monde nouveau où vous devrez trouver vos marques. <br /><br /> Et, fermant la marche, Lion, le patriarche, franchira la dernière marche pour entrer dans l’arche et quitter sa patrie dans le temps imparti. Les portes se refermeront derrière lui et il se sentira pris par une vaste vague de nostalgie et d’ennui. Il sera trop tard pour renoncer au départ et faire demi-tour, ils auront tous en poche un billet aller sans retour. Les mots ne manqueront pas dans son vocable pour désigner cette décision irrévocable, incroyable et, quelque part aussi, insoutenable. Ce départ était une aberration de mauvais aloi mais c’était en soi la dernière solution. <br />Ils laisseront derrière eux beaucoup de congénères et à cet instant, leurs pensées iront à ces bouc-émissaires, à ceux dont le sacrifice ne serait pas un vain vice et qui allaient incessamment mourir sur Terre et devenir poussières. Qui pourra pour cela traiter ces protagonistes évadés d’égoïstes ? Opportunistes, ils se seront tout simplement trouvé sur la bonne liste et auront suivi la bonne piste. L’essentiel sera bien là : dans l’appareil ils seront tous là. Ces représentants des espèces animales auront fait le principal en évitant la disparition et en choisissant l’émigration. <br /><br /> Echappés de leur prison en feu, ils fuiront, silencieux, à la recherche d’autres cieux. Comme un symbole, Gaïa aura retiré à ces fuyards la parole dont elle leur avait fait l’obole. Elle en aura fait l’expérience lors de cette séance plénière : les pleins pouvoirs d’expression et de danse avec les mots et les notions n’étaient en rien synonymes d’espérance. Ils ne leur seraient d’aucune utilité, car ils ne conduiraient pas à une amélioration de la condition de ces espèces en perdition. L’échantillon de vie prélevé et sauvegardé via cette rébellion sera le seul butin de ces mutins.tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1639823604885069608.post-18570403244186398072007-02-07T09:37:00.000-08:002007-05-02T08:02:16.405-07:00Chapitre 15 : Départ de Terre<div style="text-align: justify;"> L’arche décollera alors avec la démarche hésitante et drôle de Poule qui picore ou d’Homme qui picole. Elle s’envolera maladroitement en essayant apparemment de suivre en ligne droite la direction du firmament. Comme l’oiseau se suffit à lui-même pour voler, l’arche se suffira à elle même pour s’envoler et se détacher des lois de la gravité. Elle n’aura point besoin de moyens humains : son mode de propulsion sera sain, car saint. L’acquisition de Gaïa ne craindra pas la panne, mais celle qui aura fait l’objet d’une réquisition aurait aussi mérité une perquisition des douanes. Aura-t-on jamais vu un transporteur de bétail de si grande taille ?<br /><br />Au hublot, contemplant le monde de là-haut, les animaux réaliseront leur culot. Quelle tristesse que de voir s’éloigner à jamais les lieux et l’ivresse de tant de contes de fées.<br /><br />A Gaïa aussi il en coûtera d’abandonner Terre pour des raisons si terre-à-terre qu’elles lui paraîtront vulgaires. Elle s’en sentira assez peu fière, en ressentira même de la colère. A son sens, son impuissance frôlait les limites de la décence. N’avait-elle pas tort d’abandonner ainsi les autres à leur triste sort ? Elle en ressentira des remords : plus encore que les animaux qu’elle retrouverait en nombre bientôt, c’est plutôt de laisser Homme seul face à sa mort, quels que soient ses efforts, qui lui causait du tort… Car qui pourra-t-il dès lors invoquer, vers qui pourra-t-il désormais se tourner, quand même son dieu l’avait lâchement abandonné ? Bien sûr, l’esprit créateur avait droit de vie ou de mort sur sa créature. Mais en l’occurrence, Homme se sera presque auto-atomisé, ce qui minimisait son influence et sa responsabilité. Et elle trouvera un moindre réconfort en se promettant, avec tout ce que l’apitoiement entraîne, de faire nettement mieux la fois prochaine, de mieux gérer la planète suivante, celle des survivants et des survivantes.<br /><br />Comme si ce genre de questions ne les interpellait qu’après qu’ils aient embarqué, Gaïa et les passagers ne penseront donc qu’une fois dans les airs à ceux restés sur Terre. L’inconscient général aura-t-il sciemment voilé à Gaïa et à l’animal leur capacité de discernement ? S’ils avaient pensé plus tôt au sort de ceux qui n’étaient pas de la réunion, la décision de ces millions d’apôtres aurait peut-être été toute autre. Une vague primaire faite d’égoïsme et d’instinct de survie les aura saisi pendant le procès et une seconde vague de compassion et de culpabilité les prendra seulement une fois sauvés, comme s’ils avaient l’intention de se réhabiliter. Mais ils n’auront point besoin de se justifier, ils auront bien fait de se fier à leur instinct. Ils auront fait le bon choix au final, un point c’est tout et point final ! Objectivement, il n’y avait plus rien à faire pour sauver Terre et on n’aurait pu sauver ni le monde ni tout le monde. En sauvegardant un couple de chaque espèce animale, on évitait l’extinction et c’était déjà un moindre mal. Et les sacrifiés auront été les martyrs morts au champ d’honneur pour établir un monde meilleur.<br />Pour ce qui est d’Homme, son cas sera d’ores et déjà réglé : même s’ils ne le laisseront pas transparaître comme tel, il sera bel et bien amené à disparaître. Car Gaïa, qui connaissait la vraie réalité des dégâts infligés à cette Terre affligée, leur aura signifié qu’elle allait sombrer incessamment, ce ne sera l’histoire que de quelques instants, ensuite, il n’y aura même plus besoin de pansements.<br /><br />Autant d’en bas l’état de dégradation de la planète n’était pas net, autant s’élever apportera plus de précision et de clarté. Leur monde vu de là-haut ne sera déjà plus que chaos. A bout de souffle et poussé à bout, il sera sur le point de s’écrouler. Cette sphère patibulaire, la planète Terre, aura une allure d’enfer. Et à sa vue, les animaux oublieront leur abus et se sentiront confirmés dans ce qu’ils auront voulu.<br /><br />Effectivement, ils auront bien fait de s’exiler, car inexorablement et en l’espace de quelques instants, la Terre changera de matière et c’est de leur place, en lieu sûr, qu’ils regarderont ce monde devenu pourriture.<br />Pour tous, et même pour la famille des rapaces, ce sera le premier voyage dans l’espace. Dans le passé, certains animaux y étaient bien passés : un ancêtre de Chien y avait même séjourné un grand nombre de journées en compagnie de ses maîtres, pour se soumettre à des expériences et ça avait été un voyage auquel il aurait volontiers renoncé tant on avait abusé de sa patience. La découverte de cet espace infini et infiniment spacieux se fera avec des yeux visiblement ébahis. Les regards se détourneront de leur natale planète, à laquelle ils auront déjà renoncé depuis belle lurette. Résolument tournés vers l’avenir, ils regarderont les étoiles luire : l’une de celles-ci était leur logis à venir. Peut-être auront-ils bien fait de renâcler à contempler le désolant spectacle de leur ancien habitacle, car cette débâcle accablante du vivant sera vraiment d’un navrant… Voir tant de richesses en détresse et tant de beautés partir en fumées épaisses aurait flanqué un sacré coup au moral de ces espèces animales casse-cou.<br /><br />Pour un peu, leur départ serait arrivé trop tard. L’apocalypse ne tardera pas, le cataclysme arrivera à grands pas. Par un effet d’entraînement et en un rien de temps, tous les maux s’abattront en domino sur l’ancien monde des animaux, succession de catastrophes naturelles et artificielles : raz de marée, ouragans spontanés, super-tsunamis, tremblements de terre, éruptions volcaniques et explosions atomiques… Ce Déluge-là sera au moins aussi violent que le précédent, il y aura un de ces grabuges entre les éléments et les habitants ! Ne croyez pas qu’il y a hyperbole et que c’est extrapoler ! Car l’accumulation des bénignes et des malignes atteintes ne pouvait laisser envisager des conséquences en demi-teinte. Trop de gouttes de trop auront fait déborder le vase : il y aura de l’eau dans le gaz et celle des océans recouvrira les côtes à la vitesse d’Hase, y déposant une épaisse vase. Les fléaux échappés de la boîte de Pandore se déverseront sur les restes de vie qui persistaient encore.<br /><br />Cette apocalypse sera exactement comme on se l’imagine : une totale éclipse, une vraie mine. Tous les éléments seront déchaînés, enchaînant végétaux, animaux et humains dans l’étau de l’infernale spirale du mal et des maux. Malgré leurs capacités de résistance et d’adaptation, tous les êtres en vie seront invariablement pourchassés par les événements, et cela jusqu’au dernier. Les êtres terrestres seront emportés, balayés par la terrible marée, dépériront et pourriront sous les limons, périront et quitteront pour toujours ce monde englouti. Les êtres peuplant les airs ne seront guère plus heureux dans l’histoire, éconduits par le vent et sans perchoir, conduits à se laisser choir. Et ceux qui se croiront à l’abri en milieu aquatique ne seront pas mieux lotis et pas moins en panique.<br />Terre entière sera donc transformée en gruyère par les mers, grignotée et morcelée par les marées. Fini les amis, ci y gîtera la vie.<br /><br />Dans le combat, volontaire ou involontaire, mené par Homme contre Terre, il n’y aura que des vaincus, c’est pas de cul. Terre aura chuté et entraîné son adversaire à terre. Y aura-t-il pour elle une part de suicide dans ce matricide, un éclair de lucidité pour mettre fin aux hostilités ? On est en droit de penser que Terre aurait encore pu résister quelques temps, mais l’issue était connue depuis bien longtemps. Peut-être Gaïa ne sera-t-elle pas étrangère à la débine accélérée de Terre, souhaitant éviter que ne soit contaminé Univers. Du fait de son incessant progrès technologique, Homme aurait un jour ou l’autre été en mesure d’exporter à l’interstellaire ses produits toxiques. Quoiqu’il en soit, ce genre de dangers semblera écarté quand, pour son plus grand malheur, Terre aura subi un lavement purificateur. A la bonne heure ! Après la colère, quand tout le monde aura été puni, elle aura l’aspect d’une sphère à la couleur unie, de bout en bout recouverte par une couche de boue, le tout noyé à cent pour cent sous l’océan. Elle méritera alors un petit peu plus son surnom, la Planète Bleue.<br /><br />Certes, certaines formes de vie aquatique subsisteront mais plus rien de digne de ce nom, ni de magique. Finalement, tout ce grouillement de vie était né des océans et, réduit à néant, y sera retourné. <br />Des millénaires d’histoire dormiront sous les mers : une gigantesque Atlantide au fond de l’unique Atlantique. Immobile, la civilisation fossile témoignera du crime et de ses mobiles.<br /><br />On peut s’apitoyer longtemps sur ce pitoyable événement, car chaque vie est unique et donc chaque disparition dramatique. Mais quand on sait que Terre n’est qu’un infime fragment d’Univers, cette perte apparaîtra cependant un peu plus secondaire. Et puis, toute vie terrestre aura-t-elle vraiment disparue ? Non, car un petit groupe de volontaires téméraires aura quitté Terre dans le but de se soustraire à ce destin contraire et à ce terrible adversaire.<br /><br />Mais même partis de Terre, ces derniers représentants animaux ne seront pas pour autant sortis d’affaire, car la belle était devenue une trop petite poubelle pour un tel mortel. En effet, traversant la décharge dégueulasse que sera devenue l’espace, l’arche manquera de peu de se faire pulvériser par un déchet de ce capharnaüm, comme un dernier geste posthume et désespéré de ce cafard qu’est Homme.<br /><br /><br />* * *<br /><br /><br /> Ce qu’Homme aurait dû savoir dans cette sinistre et triste histoire, c’est qu’on n’est pas intelligent si on oublie qu’on dépend de son environnement. S’il avait pensé à assurer sa survie et celle de ses petits, tout le monde n’aurait pas eu à en payer les pots cassés et pourris.<br /><br />La morale bien peu affable de cette fable en rimes, c’est qu’on ne peut continuer à ce rythme-là si l’on veut un avenir fiable : il faut un développement soutenable et viable et si l’on ne veut pas faire de notre planète tellurique une Terre lunatique et invivable.<br /></div>tibalhttp://www.blogger.com/profile/17881740990225271278noreply@blogger.com0